Une question d'importance
Quelle importance le contenu de cet espace d'expression personnelle a t-il pour moi ?
La question s'impose alors que, au moment où j'écris ces lignes, tous les commentaires que j'ai laissés depuis l'origine ont disparu. Pas ceux des centaines de personnes qui se sont exprimées ici : seulement les miens ! La situation pourrait n'être que temporaire, le temps que soit achevée la migration des quelques dizaine (centaines ?) de milliers de blogs antérieurement hébergés par Canalblog, désormais rapatriés sur une autre plateforme d'hébergement et publication
Cet espace d'expression, je l'ai ouvert il y a bientôt 19 ans, sans savoir si l'expérience me conviendrait. Assurément ce fut le cas, bien que depuis quelques années une certaine désaffection soit apparue. Aujourd'hui, si ce blog n'existait pas [hypothèse absurde], je ne crois pas que je serais tenté par l'ouverture d'un espace d'expression de ce genre. Cela ne m'est plus nécessaire. Il est cependant là et ce qu'il représente est important à mes yeux. Non pour ce qu'il est encore [fort dispensable] mais pour ce qu'il a été. Je pense en particulier au contenu des échanges de commentaires, qui ont notablement enrichi l'expression initiale de mes réflexions.
Certains des sujets que j'explorais, une fois déposés ici, prenaient de l'épaisseur grâce aux éclairages et contrepoints offerts par un lectorat attentif, plus ou moins identifié, généralement assez fidèle quoique se renouvelant au fil des ans. Cette matière-là est, à mon sens, le trésor caché du blog. Pas tout, bien sûr ; il faudrait en extraire les meilleurs filons, les plus belles pépites. C'est un projet que j'avais vaguement à l'esprit et qui s'est récemment ravivé à propos de la démarche qui consiste à imprimer le contenu d'un blog. Dans un de mes derniers billets la question de la conservation des commentaires avait été abordée : que faire de cette masse considérable, elle-même née d'une profusion de billets d'intérêt inégal. La question était restée en suspens...
Or, coïncidence, à peu près au même moment, l'hébergeur historique de ce blog adressait un courrier rassurant annonçant la transition des blogs « en douceur ». Ayant antérieurement copié en archive l'intégralité de mes écrits, je n'ai pas vraiment porté attention au courriel. Par mesure de sécurité j'ai quand même voulu garantir la conservation des quelques longs fils de commentaires ayant suivi mes billets explorant les motivations et conséquences du silence au sein d'une relation. J'ai donc illico copié-collé des pages et des pages de commentaires (jusqu'à 600 pages !) qu'il me semblait important de ne pas risquer de perdre. J'avais dans l'idée de continuer ce travail quelque peu fastidieux mais, fort occupé par une formation en cours, j'ai reporté et laissé passer les jours. Jusqu'à ce que je découvre, cette semaine, alerté par une fidèle lectrice, que mon blog était en partie inaccessible. J'ai compris que la "migration" annoncée avait été effectuée.
Le lendemain j'ai rapidement été rassuré de constater que l'intégralité du contenu du blog semblait bien avoir été conservée, de même que les précieux commentaires... Sauf les miens, donc ! Je ne peux qu'espérer que ce soit une phase temporaire, la "migration" ayant été annoncée comme devant durer plusieurs jours. Je redoute un peu que la conservation des commentaires des auteurs de blogs n'aient pas été considérées comme étant d'importance capitale [et néanmoins toute relative].
Si la correspondance un peu particulière qui s'est échangée au fil de mes publications est définitivement inaccessible... et bien soit. J'accepterai la perte, tout à fait supportable. Je préfèrerais cependant que ce précieux contenu puisse être restauré afin que je puisse - éventuellement - l'explorer un jour et en extraire les meilleures parts.
Je ne peux m'empêcher de prolonger un peu la réflexion autour du désir de conservation, ici concernant l'émotionnel-intellectuel. J'ai l'impression que si la plupart des gens considèrent comme normal de conserver des photos de famille ou d'évènements, l'archivage des écrits est moins courant. Moins ouvertement affiché. Probablement parce que cela touche à l'intime... qui est pourtant, à mes yeux, le plus essentiel. Pour ma part j'assimile une part des "correspondances par commentaires", quand elles sont un peu approfondies, à l'approche personnelle, sensible, subjective, projetée qui fait la saveur et l'onctuosité de la rencontre.
Je prends conscience, en l'écrivant, que c'est ce que j'ai cherché depuis mes débuts en écriture intime "publique". Bien peu avide de signes superficiels de convivialité j'ai, au contraire, aimé rencontrer l'altérité des ressentis et perceptions. En profondeur, partager, échanger, effleurer l'intimité de l'autre dans le contexte feutré d'une extimité respectueuse, à l'abri des regards trop nombreux. La dimension un peu désuète des blogs, très rapidement et largement supplantés par les voraces et expansifs "réseaux sociaux", a sans doute convenu à l'atmosphère plus confidentielle dont j'avais besoin.
C'est la trace de cela que j'ai envie de conserver. Parce que c'était bon.
Et parce que j'ai le pressentiment que c'est le reflet d'une époque heureuse qui pourrait ne pas durer.
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En rédigeant ce texte, j'ai constamment gardé à l'esprit ceux qui, pour diverses raisons tragiques, perdent toute trace matérielle de leur passé.