Le fil de soi

Reprendre le fil de l'écriture.

Écrire, décrire, dire. Mettre en mots. Laisser naître depuis soi, d'en-soi, pour aussitôt chercher à s'en extraire et élargir, ouvrir au partage. Donner de soi et, peut-être, recevoir d'autrui. Échanger. D'une perception subjective faire émerger la part commune. Tendre vers un langage universel, qui pourrait ainsi toucher chacune, chacun. S'ouvrir à l'écho fugace, capter la résonance, la différence. Ou l'indifférence.

Mais saurais-je écrire, ou dire, sans faire usage du "je" ? Sans me situer par rapport aux idées et réflexions que je tente de partager ?

« Une seule chose gouverne ma vie intérieure : me découvrir, me connaître, et par là même, connaître l’être humain, comprendre ce qu’est la vie, la libérer de ses entraves, la laisser déferler. »

Charles Juliet - 9 décembre 1957 - Journal, tome 1 : Ténèbres en terre froide (1957 - 1964)

Ce court extrait d'un texte antérieur à ma naissance, récemment lu d'un partage par autrui, m'aura paru suffisamment familier pour relancer une expression écrite asséchée. Dans ces mots je retrouve une part de ma quête incertaine : « me découvrir, me connaître, et par là même, connaître l’être humain ». Des mots analogues à ceux que j'ai employés il y a quelques semaines, au cours d'un entretien visant à éclaircir mon mode de pensée et d'être-au-monde. La synchronicité m'a porté à y accorder attention.

D'un côté une aspiration à connaître l'être humain ; de l'autre le constat d'une difficulté à aller vers autrui. Et, par la même, un attrait pour la solitude, tellement plus confortable, protectrice, paisible.

« L’existence ne présente pas grand intérêt lorsqu’on a pour but que soi-même. »

Charles Juliet - Lambeaux

J'ai avancé sur un fil : m'ouvrir à l'altérité en passant par l'introspection et l'auto-analyse semi-publique. Paradoxal, en apparence. J'ai fait avec ce que je suis : un extraverti sensible, avide d'intériorité et de profondeur, inhibé par une confiance aux aguets. Prudence excessive, sans doute, issue de mes vulnérabilités.

Mais peut-être, avec la perspective proche de jouir sans limites d'une tranquille solitude, s'est ouvert en moi une brèche : est-ce vraiment ainsi que je veux vivre ?

Vercors - septembre 2024

Comments

[Julie]

Soit disant, la vie ne tient qu'à un fil de soie. La passer à s'interroger sur soi, autant chercher le bout d'un fil en boucle... 😄
Ton billet me donne le sourire, merci Pierre ! ainsi que pour ce beau paysage montagneux.
Belle journée, bises.
Julie

[Pierre]

La vie ne tient peut-être qu'à un fil, Julie, mais pour la plupart ce fil est suffisamment solide pour durer quelques dizaines d'années, voire une centaine. Pas de quoi s'inquiéter, donc ;)

Merci et belle journée à toi.

[Julie]

Sois-disant 😀