Parenthèse analytique
Depuis quelques temps j'expose ici ma connaissance personnelle des relations de confiance. Une sorte d'état des lieux, alimenté par mes expériences récentes et mes connaissances livresques. De ce que je délivre, une part est solidifiée, confirmée, quasi-certaine (autant que je puisse l'être, avec une marge de doute que j'accepte toujours). Une autre est encore en mouvement, en observation, potentiellement sujette a évolution. Depuis que je pratique cette écriture intime publique je fais le funambule. J'avance sur mon fil, mais toujours dans un équilibre instable. Non parce que je n'aurais pas évolué, mais bien parce que l'évolution de ma pensée m'amène sur des terrains nouveaux, plus "profonds" dans ma psyché que ceux que j'abordais auparavant. Je m'enfonce dans ma conscience pour émerger un peu plus haut. Je sais que je continue à acquérir une "force" tant que je poursuis ce travail. Cette force (solidité, assurance, sérénité...) c'est la connaissance de soi. Incontestablement mon existence à changé, tout comme ma perception de moi-même. J'ai pris une assurance visible dans bien des domaines, et je peux affirmer avec bien plus de conviction certains concepts qui auparavant me semblaient nébuleux. Je le dois à mes prises de position et à la contestation qu'elles ont parfois suscitées. Aux encouragements à persévérer aussi, de la part de ceux qui ont fait un chemin similaire avant moi. Je le dois surtout à une volonté de mise en pratique de ce que j'ai découvert: les mots préparent, mais les actes doivent les valider.
Lorsque j'énonce un état des lieux je prends le temps d'écrire, de poser mes idées, de les articuler. J'essaie d'être autant synthétique qu'exhaustif et je tente d'exprimer la part généralisable. Ça donne un ton presque professoral qui, au final, ne me plaît pas beaucoup. Trop détaché du vécu personnel. Et puis j'affirme... mais je ne suis jamais certain d'être allé assez loin dans la réflexion. Ça me gêne un peu. Je n'aime pas donner l'air d'être totalement sûr de moi.
A d'autres moment je suis davantage dans l'expression de pensées en mouvement. Des interrogations, des hypothèses, des possibilités. Je m'y sens plus libre, puisque je n'affirme pas. Je garde très présente la possibilité de l'erreur d'interprétation, de l'insuffisante expérience, de la nécessaire confirmation dans le temps ou par les faits.
Le problème, c'est que cette pensée en mouvement... ne demande qu'à évoluer. Il y a une avidité de compréhension et "d'avancement" qui fait que mes réflexions redémarrent très vite sur les idées à peine déposées. Je me rends compte que j'avais oublié quelque chose, occulté un paramètre, ou bien que ce n'est pas ce que je voulais exprimer... Bref: pensée en évolution. Pensée libre.
L'écriture m'aide beaucoup, dans le sens qu'elle "pose" les idées. Les mots s'accocient et peuvent mettre en valeur quelque chose qui passait inaperçu dans les pensées. Je fais donc un travail d'analyse de ce genre d'écrits libre, quasiment en continu. J'observe mes écrits.
Or ce n'est pas forcément ce que je souhaite faire ici. Enfin si, bien sûr, puisque j'ai une soif de connaissance de moi-même, des relations que j'entretiens avec autrui, et des rapports humains en général. Mais c'est une pensée intime, fragile. Or ici il y a beaucoup de monde qui me lit. Des gens que je connais à divers degrés, des gens dont je peux craindre le regard aussi (car ayant peut-être plus de recul d'assurance que moi ?). Et puis une foule d'inconnus dont je ne sais rien. En exprimant l'intime publiquement je m'expose. Je prends parti, et sur des sujets à la fois universels et individuels. Donc délicats. De plus, en abordant les notions de confiance, sincérité... amour, amitié... fidélité/abandon... je sais que j'entre dans des domaines particulièrement sensibles (et même hypersensibles) chez moi. De ceux que je ne peux aborder en séance de thérapie sans, régulièrement, ressentir de fortes émotions (exaltation ou pleurs).
Pourtant, je devrais être habitué à cette intimité publique, depuis cinq ans que je me dévoile sur le net. La différence, ici, c'est la présence des commentaires. Non que je craigne particulièrement des commentaires désagréables, mais parce que, publiquement, mes écrits (donc mes idées naissantes) peuvent être contestés. Et plus précisément... parce que mes éventuelles erreurs ou lacunes peuvent être mises en évidence. Mes prises de position me demandent donc une humilité potentielle qui ne me serait pas facile à assumer (crainte irrationnelle de m'être trompé de bout en bout).
Je suis pourtant aguerri, là encore, puisque j'ai pratiqué assidument les échanges sur forums où j'étais parfois contesté sur certains de ces sujets délicats. Les remises en question peuvent y être assez décapantes et poussent à aller loin en soi pour peu qu'on joue le jeu honnêtement. Excellente école d'étayage des pensées ! Mais sur un forum je ne suis pas un "centre d'intérêt" (quoique souvent les sujets que j'abordais me mettaient dans cette posture...). Ici la situation est différente: ce Carnet c'est mon territoire. C'est moi (une partie de moi). Même s'il existe des dizaines de milliers d'autres blogues, je suis identifié dans une microbulle de l'immense blogosphère. Je suis euh... "connu" (reconnu) par quelques dizaines de blogueurs ou diaristes. Et... ben c'est vachement "exposant" de se dévoiler tout en étant connu. Il faut être "fort". Je sais que pour moi il y a un effet thérapeutique dans ce dévoilement, et en même temps je me sens parfois "limite" de fragilité. Alors à ces moments là je prends quelque distance, ou bien j'aborde des sujets moins impliquants. Mais le naturel revient vite et ma propension à la transparence regagne du terrain...
Ce que je veux dire par là c'est que je ressens un "besoin" d'authenticité, mais que celui-ci me coûte aussi. D'une certaine façon je donne de moi (désir de témoigner et d'offrir mon expérience... mais aussi d'avoir une forme de reconnaisance), mais il m'arrive de trop donner et d'oublier de me protéger. Il en résulte un vague malaise ensuite, autour de certains mots ou idées que je sais avoir écrit (même si la relecture en différé me montre que j'en surdimentionne l'impact). Je sais aussi que ces mots-à-malaise me montrent une direction à creuser, et c'est là que je cours le risque de trop m'exposer. Parce que je m'aventure alors en zone sensible et inconnue. Devant des regards qui peuvent potentiellement s'exprimer et influer sur mon parcours.
Pour moi ce travail sous le regard d'autrui s'assimile très largement à un processus analytique. Mon écriture sur internet est souvent thérapeutique, depuis l'origine. En cela elle diffère largement de l'écriture intime secrète que j'avais auparavant. Je ne ressentais pas ces malaises dûs au regard extérieur. Je passais ainsi à côté de mots essentiels. Je me soulageais...
Sur un autre blogue il a été question de ce coté thérapeutique (contesté) de l'écriture. En fait, je crois que c'est davantage la lecture qui joue ce rôle thérapeutique. Me lire, relire mes mots, et me savoir lu. Exprimer et montrer. Extérioriser l'intériorité. J'y vois le même genre d'effet que la thérapie analytique, bien que les deux procédés agissent différemment. En thérapie le regard, la présence, jouent un rôle important, de même que la "garantie" apportée par le professionnalisme du psy. En écriture analytique ouverte aux regards, la présence est perceptible d'une autre façon. Elle est sue, perçue et vérifiable. Mais pas vécue. Et les éventuels commentaires n'ont pas la neutralité du psy... Le travail est donc différent. Je le perçois comme complémentaire. Ma thérapie bénéficie de mes avancées par l'écriture, et inversement.
Mais la thérapie par l'écriture vient aussi du dévoilement. Non seulement du contenu de ce que je dévoile, mais du fait même de me dévoiler. Car c'est toujours une façon de me positionner. Donc de montrer une personnalité, appréciée ou contestée. Je ne suis plus dans le strict "je pense donc je suis", mais dans une variante: "j'ecris donc je suis" (scripto ergo sum ?). Voila pourquoi je me retrouve toujours sur ce fil tendu entre le dire et le taire.
De ces millions de mots déversés en divers lieux depuis quelques années, s'est tracé mon chemin de vie bien plus efficacement et précisément que si je m'étais laissé bercer par les évènements. Ma vie a changé parce que je l'ai prise en main, et l'écriture intime, publique ou confidente, y aura été pour beaucoup. Je me dois aussi d'évoquer tous les liens d'échange qui ont pu se créer grâce à cela... et qui sont largement contributeurs de ce changement.
Cependant... et ce n'est pas le moindre des paradoxes de l'écriture thérapeutique, le risque de la graphomanie existe bien. Écrire par habitude, par compulsion, par illusion de l'effet thérapeutique qui pourrait ne rester que mental, sans descendre dans la structuration de la pensée... Difficile de savoir à quel moment se franchit la limite qui sépare l'effet thérapeutique de la graphomanie stérile. D'où ces alternances d'écriture et de silence qui tranchent avec ma régularité d'autrefois. Je me méfie de moi...