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Alter et ego (Carnet)
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2 juin 2012

Se créer des souvenirs

Dans mon texte intitulé Désirs latents, un passage mérite que j'y revienne. J'ai été étonné, après coup, par ce qui émergeait de ces quelques phrases : « J'ai envie de partager des instants inoubliables, ne pas être unique spectateur à engranger des sensations. J'ai envie de créer des souvenirs communs, en connivence ».

Penser aux souvenirs futurs a de quoi surprendre alors que je cherche à privilégier l'instant présent. J'anticiperais donc sur un futur à mémoriser en vue de raviver le passé dans un présent à venir ! Oups, quelle confusion dans les temps ! Pourtant cela reste bien, dans mon esprit, un rapport au temps présent...

J'en discutais avec A., qui a un tout autre rapport au temps. Pour elle le passé est comme déconnecté, lointain, presque une vie antérieure. En revanche l'avenir l'angoisse fortement. Y aurait-il un lien de cause à effet ?

Pour moi l'avenir n'est pas inquiétant [tant que je ne pense pas trop au devenir de l'humanité... ou à celui de mes relations affectives]. Je crois que cela vient de mon rapport au passé : il a toujours été très *présent*. Non que je vive dans le passé, mais parce que mon présent s'y est forgé et continue d'y puiser des enseignements. Ce que je suis, vis, ressens aujourd'hui a ses racines dans le passé et je m'en nourris volontairement. C'est un atavisme familial ; surtout du côté de ma mère, qui peut raconter son enfance, et même celle de ses parents, avec beaucoup de *présence*. On s'y croirait ! De telle façon que je peux presque me mettre à la place de mes ascendants !

Mais sans remonter aussi loin, le lien constant que j'entretiens avec mes expériences passées fait que je reste en contact avec les émotions antérieures afin d'orienter celles du présent. J'ai ainsi l'impression de mieux pouvoir agir sur mon équilibre intérieur, mieux orienter mon existence vers ce que j'ai envie de vivre. En favorisant ce qui a généré des émotions agréables j'augmente mes chances d'en ressentir à nouveau. Si je retrouve ce qui m'a fait du bien, et en quelles circonstances, je peux favoriser les conditions de reitération. C'est pourquoi il m'importe tant de garder en mémoire le ressenti des bons moments. Celui des mauvais aussi, dans une moindre mesure, pour éviter autant que possible qu'il se reproduise...

Quand j'écris donc que j'ai envie d'engranger des sensations c'est comme si je voulais me constituer un stock de souvenirs heureux dans lequel je pourrai puiser ultérieurement. Un peu comme un album photo à feuilleter. Mon bonheur futur pourrait en dépendre. Dans ce cas le fait de vivre avec d'autres personnes des évènements communs me permet de les rendre plus... imprégnés. La présence de l'autre agit comme un intensificateur d'émotions. Et davantage encore si ces moments de bonheur sont ressentis comme un privilège, une chance, une sorte de trésor.

C'est pourquoi les deux ruptures que j'ai subi m'ont été si pénibles : les souvenirs communs, ô combien chargés d'affect, ne seraient plus partageables. Les précieux joyaux perdaient de leur éclat, comme s'ils dépendaient de l'apport d'un autre regard pour briller vraiment. Lorsque ma femme a voulu qu'on se quitte c'est cette perte que j'ai estimée la plus dommageable, ainsi que celle de la tendresse des moments lovés l'un contre l'autre. Et quand la seule autre femme que j'ai véritablement aimée à mis fin à notre exploration commune, c'est sur ce même plan que j'ai senti l'accablement : nos souvenirs heureux cesseraient d'être échangeables, tandis que ceux du futur, espérés, n'auraient pas lieu. Dans les deux cas l'amputation m'a été douloureuse.

Je crois que la fin concomitante de ces deux relations essentielles a profondément remis en question la constitution même des souvenirs partagés. Comme s'il y avait eu quelque chose d'erroné dans ce que j'en avais perçu. Comme si je m'étais trompé de perception ou de repères. Le surcroît de saveur était-il frelaté ? J'avais prévu un futur qui, finalement, n'aurait pas lieu. La sensation de vide à été immense, et ses répercussions puissantes. Traumatisantes. D'une certaine façon il n'y avait plus d'avenir sur ce plan là. Désillusion, pour ne pas dire effondrement.

Je devais me reconstruire autrement.

Ce rapport faussé au partage temporel fait certainement partie de ce qui, depuis, m'a fermé à de nouvelles rencontres amoureuses. J'envisage maintenant la fin avant que ça commence. Je la pressens d'avance comme inéluctable et proche. Ça change tout. Pour moi les relations amoureuses n'ont plus d'autre perspective que l'amputation à venir, donc ne valent pas vraiment la peine d'être investies. Elles resteront "détachables". En la matière j'ai beaucoup de mal à ne penser qu'au présent...

C'est un apprentissage que je ne refuse pas, mais qui me demande du temps, comme en témoignent mes écrits. Je m'inspire de ce qui se vit en amitié. Le changement de paradigme révolutionne profondément le regard que je porte sur les liens affectifs non familiaux. Je peux partager des moments simples et doux, à la fois approfondis et légers, mais en évitant de les charger émotionnellement. Ne pas exacerber les sensations. J'engrange de jolis souvenirs, mais qui ne sauraient trop me chauffer l'âme. Parce que j'ai conscience que le partage ne durera probablement pas.

Des regards extérieurs pourraient considérer qu'il est regrettable de se couper ainsi d'éventuelles relations. Je crois au contraire que ma réaction est saine, ajustée à ce que je me sens capable de vivre. Et parce que je ne me soucie pas vraiment de l'avenir, je ne m'inquiète pas de voir le temps passer. Il se pourrait même que je ne retrouve plus cet état de grâce. Mes amours sont peut-être derrière moi. Ou pas... allez savoir.

Je garde l'envie de pouvoir de nouveau partager pleinement de bons moments mais cette fois avec la conscience de l'éphémère [l'instant présent...]. Aussi simplement en amour qu'en amitié. En attendant je reste prudent avec les expériences génératrices de bonheur avec une femme. Elles m'attirent autant qu'elles m'effraient [mon ambivalence sur ce point est flagrante !]. C'est pourquoi je préfère vivre en solo et, pour le moment [jusqu'à quand ?], voyager en solitaire [mais sans en être vraiment satisfait]. Ou avec mes enfants. 

Il y a deux ans j'avais rejoint mon plus jeune fils en Irlande. Dans quelques jours je le retrouverai au pays des Cèdres...

Commentaires
S
Engranger des souvenirs oui, moi j'aime à dire que je me tricote des souvenirs, qu'ils soient heureux malheureux familiaux ou pas la vie est ainsi faite...Vivre est une chance, la vie est un cadeau, les rencontres émaillent et cisèlent nos plaisirs, nos désirs, nous font grandir et avancer. L'émotion c'est la vie et si on ramasse tant pis...en revivre certaine .... et y croire encore et encore !!!<br /> <br /> Belle fin de journée
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P
Oui Fact O'post, c'est bien du Liban dont il s'agit :)<br /> <br /> J'y suis, ce qui explique mon temps de réaction pour valider les commentaires. Pays surprenant. Je tâcherai d'en dire un peu plus ultérieurement.
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F
Voyager avec ses enfants quand ils sont adultes, c'est bon ça !<br /> <br /> <br /> <br /> Euh, par contre, le pays des cèdres, c'est le Liban ? Parce que là, trop terrible le voyage.
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C
..."je voulais me constituer un stock de souvenirs heureux dans lequel je pourrai puiser ultérieurement..."<br /> <br /> j'ai pensé ainsi ... je pense ,je crois, toujours ainsi... Le "C'est maintenant ou jamais" m'a toujours fait choisir le "maintenant" étant sûre que la chance , il fallait la saisir quand elle passait, même si il fallait parfois en payer un certain prix ,une certaine souffrance à ne pas savoir toujours très bien gérer.<br /> <br /> et je dirai comme Edith Piaf: "non rien ,de rien je ne regrettte rien"
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K
Euh... c’est qui « A » ? Elle pense comme moi, on dirait...<br /> <br /> <br /> <br /> C’est marrant, dans ce texte, tu dis que vivre les choses avec quelqu’un leur donne plus d’intensité et que pouvoir partager, fixe mieux ce vécu dans les souvenirs.<br /> <br /> <br /> <br /> Je t’ai entendu dire, il y a quelques années, la réciproque : que vivre des choses avec quelqu’un donnait plus de consistances à la relation parce que ça te permettait d’avoir des souvenirs avec la personne et de mieux te souvenir de cette personne. <br /> <br /> <br /> <br /> Bon, c’était juste en passant... pour dire que tu es très « cohérent » ! ;-)
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T
Voilà deux fois que je reviens sur ce billet et que j'essaie d'analyser l'impression forte qu'il me laisse, en écho à un ressenti personnel. Mais je me rends compte que ça m'est difficile, parce que ça fait écho à des choses qui sont justement en train de faire la révolution en moi, et dont la douleur est seulement en train de se révéler en même temps que le choix (choix ? Ou évidence donc non-choix ? à creuser) d'emprunter un autre chemin, d'oser enfin lâcher un peu prise face à ce que je ne me sens peut-être pas capable de vivre si ça dérape. Avec une telle peur au ventre. Mais alors pourquoi cet inconfort librement consenti ? Probablement parce que chez moi le balancier entre ce désir latent de "vraie rencontre" que tu évoques et la peur du retour de flamme s'est inversé. Et puis plein d'autres choses qui décident d'elles-mêmes qu'elles se sont suffisamment auto-censurées.<br /> <br /> Je sens que je devrais faire un "travail" important pour conceptualiser tout ça... ce n'est pas évident à exprimer.<br /> <br /> <br /> <br /> En tout cas, le voile de tristesse/nostalgie que cet article me laisse titille certaines zones encore très fragiles.
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L
En ce qui me concerne, je n'ai jamais présent à l'esprit le désir d'engranger des souvenirs. Et pourtant, je suis consciente que ces souvenirs de moments très intenses, très chargés émotionnellement, sont d'une grande importance, qu'ils m'aident à avancer dans d'autres moments plus fades ou difficiles. <br /> <br /> <br /> <br /> Parce que je sais que j'ai tout en moi pour qu'ils puissent se reproduire. Je me rends compte également qu'ils se transmettent à l'autre et que lorsque la relation devient plus faible, cela vient en grande partie de moi qui me mets un peu en retrait. <br /> <br /> <br /> <br /> Et puis aussi, ils me permettront, à l'heure de ma mort, de me dire que j'ai connu l'amour et la joie et que ma vie a eu un sens.
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F
Une relation amoureuse a une chance de durer et de s'enrichir si on sait la vivre au présent. Dès que l'on commence à se demander si elle va continuer dans la durée, dès que l'on commence à se demander où elle va nous emmener, dès que l'on se commence à se poser trop de questions, c'est fini, il n'y a plus la même légèreté et la même spontanéité dans l'échange. Trop d'interrogations tuent l'Amour. Il faut vraiment savourer la relation amoureuse au présent, sans vouloir absolument la cadrer, la planifier... Il faut la laisser vivre à son allure, sans la brusquer, sous peine de la fragiliser. C'est mon avis... <br /> <br /> Belle journée, Pierre ! :-)
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