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Alter et ego (Carnet)
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15 janvier 2015

La logique du symptôme

Observer les grands faits de société m'ouvre toujours une fenêtre sur la différence de perception d'avec autrui. Le dernier évènement en date est tout à fait éclairant à ce sujet. D'abord une stupeur paraissant unanime avec, au choix, effet de sidération ou mots superlatifs. Mais très vite ont résonné les échos de réjouissances morbides du côté des réseaux sociaux, et beaucoup de questions autour de la liberté d'expression face au respect des sensibilités.

Parallèlement l'actu s'est répandue comme une inondation, envahissant tout l'espace : bouleversement les programmes de diffusion audiovisuelle, tandis que les sites internet des médias papier diffusaient eux aussi de l'info en direct. Apparemment la tweetosphère s'est aussi emballée, pour le meilleur et le pire. Pour échapper à ce déferlement il aurait fallu que je me coupe de toute source d'information : internet, radio, télé...

Je l'avoue, je me suis laissé happer par ce raz de marée d'info en continu. D'autant plus que je ne travaillais pas ces jours-là... Il m'a finalement fallu décider de m'en couper, en allant dans une nature immuable, pour retrouver contact avec le monde réel (car la surenchère médiatique, par distorsion, crée une fausse réalité). Pourtant, dès que je me suis de nouveau trouvé à portée d'info, j'y ai replongé, aspiré dans une sorte de vertige incontrôlable : savoir, comprendre. Ce qui était arrivé n'avait pas de sens et je crois que ma pensée aspirait obstinément à en trouver un. Je me suis gavé d'articles, d'analyses, d'images en boucle, d'approximations et suppositions explicatives. Et une fois que l'épopée tragique fut terminé, j'ai de nouveau suivi cette histoire immédiate au dénouement désormais connu, qui peu à peu retrouvait ainsi une certaine logique narrative.

Ouf ! Tout le monde [disons "beaucoup de monde"] a respiré un bon coup après la mort de ces trois terroristes sans avenir. Moment cathartique, délivrance durant laquelle la plupart d'entre-nous, je suppose, a pu secrètement se réjouir de la mort d'un autre. Il y avait, en quelque sorte, un retour à une forme de "justice". Les victimes étaient "vengées"... même si cela ne les ramènerait pas à la vie.

Alors enfin la liesse populaire à pu s'exprimer, malgré le tragique de la situation et la béance des questions sociétales qui se sont ouvertes ou rouvertes. Ce que tant de gens ont fêté dans la joie et la tristesse, c'est peut-être autant leur révolte et leur tristesse que leur soulagement. Et il était d'autant plus facile de clamer « même pas peur ! » que les sinistres auteurs du crime polydirectionnel étaient définitivement hors d'état de nuire.

Le retournement de situation m'a mis un peu mal à l'aise. L'aspect festif du rassemblement parisien, quoique je le comprenne, m'a gêné. Il y avait à la fois quelque chose de puissant et beau dans cet émouvant mouvement, mais aussi, je le crains, des motivations ayant moins de panache. Pour certains il y avait ce désir bizarre, souvent exprimé, de pouvoir se dire « j'étais là en ce jour "historique" ». L'historicité en question naissant elle-même de l'importance du mouvement participatif, cela ouvre un nouvel abîme vertigineux sur notre soumission à la puissance médiatique. Car personne ne pourra nier que l'hypermédiatisation des faits et de l'émotion corrélée ont intensifié la participation. Quoi qu'il en soit il y eut ce rassemblement considérable et c'était signifiant... même si les motivations de chacun n'avaient peut-être que peu de points de concordance.

Je n'y ai pas participé physiquement, pour tout un tas de raisons personnelles incomplètement conscientisées mais, paradoxalement, je trouve bien que d'autres l'aient fait : ils ont suivi leur coeur et manifesté quelque chose du collectif. La portée symbolique est manifeste.

Je suis plus circonspect sur les suites, et notamment ce que j'ai appris ce matin : beaucoup de gens se sont levés très tôt pour être les premiers à faire la queue devant les kiosques afin d'avoir leur Charlie Hebdo. Trois millions d'exemplaires, record absoluépuisés en quelques heures ! Pour spectaculaire qu'il soit, quel est le sens de cet acte ? Je ne parviens pas à y voir la démarche solidaire que j'imaginais. Je ne peux m'empêcher de voir des pulsions nécrophiles dans le fait de vouloir être parmi les premiers à posséder le numéro écrit par les survivants. J'avoue que je ne comprends pas. Alors je glane ici et là les réflexions de chacun, pour élargir mon champ de perception.

Après le temps du choc et de la sidération, de la délivrance, du rassemblement et des émotions, celui des analyses omnidirectionnelles bat son plein. J'y grapille des fragments d'explications, que j'assemble en éléments de compréhension afin d'éclairer la logique de ce qui parait insensé. Non sur l'acte en lui-même, mais sur le symptôme sociétal qu'il constitue et les conséquences qu'il engendre.

Il me faudra du temps. 

 

 

Commentaires
C
C'est vrai, Alainx, chacun de nos blogs est un instrument médiatique, à tendance personnelle ou avec un champ d'expression plus élargi. En continuant à aborder ce seul sujet je rajoute un couche à ce qui prend déjà beaucoup de place, mais c'est aussi une image de ce qui me trouble. Mais de toutes façons les écrits ne sont pas représentatifs des réalités intérieures de chacun.<br /> <br /> <br /> <br /> Tu as acheté Charlie pour des raisons qui te sont propres et je ne doute pas que pour beaucoup ce puisse être un geste symbolique de soutien, ou militant, ou un signe. Bref : quelque chose qui a du sens, quelque chose qui compte. Ce qui m'a surpris ce sont ces gens qui se sont levés à trois heures du matin pour être sûr d'avoir leur exemplaire !
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A
Le temps médiatique est toujours là pour faire de la mousse. C'est sa raison d'être. Depuis quelques années la mousse est plus abondante. Plus libre aussi. Au temps de l'ORTF, la mousse provenait uniquement de la bière du pouvoir.<br /> <br /> <br /> <br /> Chacun de nos blogs est aussi un instrument médiatique…<br /> <br /> <br /> <br /> Ensuite, dans les souterrains du réel, Là où nous n'allons pas, se joue notre destin…<br /> <br /> -----------<br /> <br /> <br /> <br /> Et sinon, j'ai acheté Charlie parce que des connards ont crié : "nous avons tué Charlie"<br /> <br /> C'est un geste symbolique, Qui fait sens pour moi.<br /> <br /> <br /> <br /> Les forces de la mort n'ont pas vocation à remporter les victoires…
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C
Depuis dimanche, je ne regarde plus les infos (que je regardais très peu d'ailleurs) et écoute de manière plus que parcimonieuse la radio.<br /> <br /> Je n'ai pas non plus acheté Charlie. D'abord parce que j'ai toujours été plus Canard Enchainé. Ensuite parce que je ne souhaite plus participé à quelque choses qui me semble très "fabriqué" (voire instrumentalisé) et qui me rebute.<br /> <br /> J'avais besoin dimanche dernier d'être dans la rue avec d'autres, faire front en groupe et montrer la force de la présence en masse. Comme j'avais pu le faire notamment après un certain 21 avril. <br /> <br /> Mais le ressenti de ce jour est retombé comme un soufflet...
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P
LA LOGIQUE DU SYMPTOME<br /> <br /> <br /> <br /> En ce qui vous concerne, j'ai la vague impression que le symptôme de votre mal-être serait peut-être à rechercher dans la difficulté à vous situer entre le besoin de solitude et le besoin de partage ; c'est ce qui m'a frappé en relisant par exemple votre billet QUAND LA SOLITUDE SE FAIT PESANTE ; en effet ces jours-ci vous exprimiez au fond entre autres choses votre difficulté à vous situer au milieu de la foule (en dehors du contexte aujourd'hui évoqué) ; on peut élargir ce symptôme en le rapprochant des positions de SOLUTO ; oui, bien sûr , ce qui gêne c'est que le mouvement de foule ne coïncide pas avec l'authenticité que vous aimeriez voir .<br /> <br /> <br /> <br /> Moi je pense , comme en toute matière, qu'il convient avant tout d'éviter les positions extrêmes (être contre ce qui est POUR, être pour ce qui est CONTRE) .<br /> <br /> <br /> <br /> La sagesse nous invite à admettre cette réalité : nous sommes tous différents (et c'est tant mieux), mais cela implique la possibilité d'une infinité de ressentis différents face à ces tueries aveugles.<br /> <br /> Le sentiment généralement partagé d'indignation devant les actes criminels ne peut pas s'exprimer d'une seule façon ; et là encore , tant mieux : on ne peut pas à la fois s'élever contre LA PENSEE UNIQUE et contre des manières différenciées d'exprimer son indignation.<br /> <br /> <br /> <br /> Si l'on a aimé l'humanité des dessinateurs assassinés, pourquoi devrait -on regretter l'engouement peut-être passager pour le journal CHARLIE HEBDO ?<br /> <br /> Se défier d'un réflexe grégaire est une chose, vouloir assurer la poursuite d'un journal exprimant au fond ce à quoi l'on tient en est une autre .<br /> <br /> <br /> <br /> Mais il incombe à chacun de nous de responsabiliser l'acquéreur de la Une de CHARLIE en l'amenant à réfléchir sur la suite : ensuite es-tu prêt à soutenir ce journal, même si ses caricatures futures te mettent face à tes propres incohérences ?
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