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Alter et ego (Carnet)
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29 août 2005

Perplexe

J'ai eu, hier soir, une longue et passionnante conversation dont je suis ressorti autant enthousiasmé que perplexe. Il y était question de la sincérité relationnelle. Avec tout ce qu'on peut rattacher à cette idée: confiance, franchise, respect, lucidité, spontanéité.
Être franc, c'est se respecter et respecter l'autre en ne lui dissimulant rien d'essentiel dans la relation. C'est la base de la confiance. Mais cette sincérité demande avant tout une lucidité sur soi, besoins et peurs. Enfin la spontanéité est franchise, dans le sens qu'elle permet l'expression instantanée d'un ressenti, avant que des incompréhensions et décalages ne prennent placent. Tout cela ressemble fort à un idéal, mais c'est par les idéaux que l'on se fixe des objectifs...

Depuis des années je suis dans une quête de sincérité. Travail considérable puisque, par mon éducation, on m'avait plutôt appris à être gentil et bien poli. C'est souvent *un peu* contradictoire avec la sincérité... Je dois donc désapprendre ce mode de fonctionnement au profit de celui en lequel je crois désormais: authenticité. Être "vrai", être soi. Un désapprentissage de telles bases est très long puisque toute la personnalité s'est construite autour de ce postulat de départ. Il faut donc remonter à la source de tous les "programmes" de mon cerveau pour corriger le "bug" d'origine, mais sans altérer la fonction "vie sociale". Tout en sachant que le bug s'est dupliqué sur toutes les lignes de programme, dont beaucoup d'embranchements restent inexplorés à ce jour.

Ce dont il était question avec mon interlocutrice s'appliquait à l'exigence de sincérité. Envers soi (être authentique) et envers les autres (qu'ils le soient aussi). Et si nous avions bien le même objectif (la sincérité dans les relations) je crois avoir perçu une différence notable: pour moi cela demeure un objectif (tendre vers la sincérité), mais non une exigence. Ou en d'autres mots: je m'efforcerai toujours de rechercher ma propre authenticité, me lierai préférentiellement avec les personnes qui ont le même objectif, mais n'en ferai probablement pas une condition sine qua non. Parce que j'ai besoin de communiquer pour vivre. Je regarde peut-être davantage chez l'autre la volonté de sincérité que le niveau à laquelle elle se situe. Le mouvement au moins autant que l'état... dont rien ne dit qu'il puisse évoluer.

Je ne sais pas si la franchise absolue est possible. Notre inconscient recèle bien trop de recoins obscurs pour qu'on puisse prétendre se connaître vraiment, même après des années de psychanalyse. Dès lors, comment se croire absolument sincère alors qu'on ne peut pas l'être ? Le conscient pourrait-il être sincère qu'on ne maîtriserait toujours pas la part inconsciente qui nous compose, particulièrement douée pour la dissimulation et le refoulement, conditionnant nos actes et pensées.

Par ailleurs, cette quête d'absolu rencontre des limites au delà desquelles je crois qu'elle pourrait devenir tyrannie. Autant envers soi qu'envers les autres. Toute qualité poussée trop loin devient un défaut, et chacun n'est pas capable d'entendre la sincérité de l'autre. Sincérité et confiance en soi vont de pair.
En revanche, je pense que la sincérité est bien la meilleure base relationnelle. Parce qu'elle est saine, terreau de la confiance, signe de respect de l'autre. Ce qui me laisse donc perplexe, c'est le point à partir duquel la demande de franchise peut devenir tyrannique...

C'est là que le facteur humain intervient, en faisant appel à la tolérance: accepter l'idée que chacun fait du mieux qu'il peut. Et qu'un manque de franchise peut signifier un besoin de protection, un mal-être, des peurs, de la culpabilité... Toutes choses évidemment néfastes pour celui qui les vit, entretenues par cet évitement de la vérité, mais qu'il ne m'appartient pas de refuser. A chacun son rythme. Je dois accepter que d'autres n'aient pas la même exigence de connaissance de soi et tenter de m'adapter à leur capacité d'auto-analyse. Je ne peux exiger, sans exercer une forme de violence, qu'ils aillent au fond d'eux même. Tout comme je ne peux imposer ma franchise à qui ne veut l'entendre. C'est aussi ça le respect.

Bon... accepter cette limite n'est pas sans conséquence sur les liens que je peux établir. Il me serait difficile de nouer une amitié authentique (pléonasme...) avec quelqu'un qui ne parviendrait pas à un degré de sincérité convenant à mes besoins. Lorsque je sens une personne fuyant en permanence, et ne désirant pas améliorer cet état de fait, je ne peux devenir proche. Là encore l'idée de mouvement, d'évolution, est essentielle. Je crois que l'amitié, et toute relation, ne vit qu'en étant dynamique.

Et voila le point crucial de ma perplexité: si quelqu'un tend vers toujours plus d'authenticité dans les rapports d'amitié (ou d'amour, à fortiori), son niveau d'exigence va s'élever simultanément. Mais comme les gens qui poussent l'authenticité vers l'absolu se raréfient en fonction de ce degré d'exigence, n'y a t'il pas un risque de finir par se retrouver sans relations partageable? Donc seul...

En voila une question existentielle !
[en fait ça devient presque une question sur l'exigence et l'absolutisme...]

Je n'avais jamais envisagé les choses sous cet angle. Je ne pensais pas que la recherche de sincérité dans les relations pouvait mener vers ce genre de situation, telle que me m'a révélée mon interlocutrice.


Pour le moment ma quête de sincérité me montre que c'est l'inverse qui semble se produire: les liens que j'établis sont basés sur les confidences, la confiance, le partage d'intimité. Je n'ai jamais eu autant d'échanges variés, ni avec autant de lucidité sur moi-même. A une précision près: la plupart de ces échanges approfondis se font dans le monde internet où chacun sait qu'il est plus facile d'être sincère. Mais dans le monde réel je constate simultanément une amélioration notable de la qualité et de la franchise des rapports que j'ai avec autrui. Me connaissant mieux, avec une meilleure estime de moi, j'ose davantage la sincérité.

La pratique semble donc contredire les limites théoriques. Ce ne serait pas le première fois...

Je reviendrai certainement sur ce sujet qui me semble ouvrir bien des perspectives de réflexion et compréhension...



«Je considère qu'un ami est celui qui ne ment pas, ne fait pas semblant et parle avec toute la sincérité, la franchise que l'amitié requiert. C'est ce que j'appelle l'exigence amicale: dire ce qu'on pense sans, bien sûr, être blessant »
Tahar Ben Jelloun

«C'est s'investir d'une supériorité bien abusive que de dire à quelqu'un ce qu'on pense de lui et de ce qu'il fait. La franchise n'est pas compatible avec un sentiment délicat, elle ne l'est même pas avec une exigence éthique »
Cioran

«L'aspect dangereux de la sincérité, c'est qu'elle finit par créer son objet. Si tu dis: "je suis malheureux, jaloux", tu te sens autorisé à l'être, et, paré du prestige de la franchise, le vice devient glorieux. »
André Maurois

«Aimer, c'est pouvoir penser tout haut avec un autre être humain. Confier ce qui passe par la tête, c'est comme arracher le voile sur sa nudité et ses états. L'intimité ne se discerne pas de l'extrême franchise. C'est l'indécence même. »
Pacal Quignard

Commentaires
K
Je suis sincèrement admirative de tes raisonnements. Et celui de ton com me parait très clair et vrai… parce que je le vis, pour la première fois de ma vie et je trouve véritablement magique.<br /> <br /> Je crois qu’il est vraiment très dur de trouver quelqu’un avec qui on puisse être en accord sur un sujet aussi épineux que la franchise et la (presque) totale sincérité.
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L
Ton commentaire montre la difficulté à circonscrire ce qu'est la sincérité/franchise. Je l'employais dans le sens que j'appelle "sincérité relationnelle", c'est à dire "sincère dans le fonctionnement de la relation". <br /> Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de "tout dire" de ce qu'on pense, mais de ne rien dissimuler d'important qui pourrait nuire à la relation. Ceci dans le but d'éviter l'accumulation de griefs et toute forme de ressenti "négatif". Ou autrement dit: aborder de front tout sujet qui peut représenter une menace potentielle, désamorcer immédiatement les bombes à retardement.<br /> Pour ma part je crois que chacun de nous aimerait être sincère et développer une relation de confiance réciproque. Mais par nos histoires personnelles nous ressentons fortement certaines choses dont l'autre ne se doutera pas. Si on garde cela pour soi sans avoir la capacité de vraiment le dépasser, alors on accumule des frustrations, gènes, peurs, etc... Et c'est ça qui peut finir par miner la relation. <br /> <br /> Enfin... je ne sais ni si c'est vrai ni si c'est clair; mais je ressens les choses dans cet ordre d'idée...
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C
Parfois la vie fait que on peut dire certaines choses à l'un qu'on ne peut dire à l'autre et vice versa...<br /> Je vis cela, et j'ai bien dû m'en accommoder<br /> Ce n'était pas mon idéal de départ<br /> mais voilà, c'est comme ça<br /> Si j'étais pleinement sincère avec tt le monde, je ME ferais du mal et je ferais du mal aux autres<br /> Ne pas être pleinement sincère est le choix du moindre mal
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