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Alter et ego (Carnet)
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22 janvier 2023

De la finitude existentielle

En sortant du travail, il y a quelques jours, m'est revenue à l'esprit une proposition de méditation en petit groupe qui m'a été faite récemment. Je pensais ne pas donner suite, peu tenté par cette discipline que je n'ai jamais pratiquée. Encore moins si c'est à plusieurs. Je n'en ressens pas le besoin, peut-etre à tort. Ou peut-être parce que les moments que je passe "avec moi-même" me suffisent pour rester l'esprit suffisamment libre ? Et puis méditer... sur quoi ? Faire le vide et me centrer sur l'instant présent ? Instantanément mon esprit m'a porté vers la représentation de la fugacité de nos existences dans l'éternité temporelle. Puis celle de l'infinitésimale part que cette trajectoire personnelle représente dans l'espace terrestre, lui-même infime part de l'univers visible et invisible. Je me sais n'être qu'une poussière d'étoile dont l'éclat sera sera comparable à celui d'une étincelle de silex : d'une insignifiante brièveté. Si mon existence n'est pas "rien", alors elle est bien peu de choses [♪ et mon amie la rose me l'a dit ce matin ♫].

Ce soir là, dans la bulle protectrice de ma voiture, j'ai eu l'intuition que si la perspective de ma mort ne m'effraie pas c'est peut-être parce que je me sens faire partie d'un tout bien plus grand que ce que j'en perçois. Ainsi en va t-il de mon existence qui, tout entière,  tient dans une étincelle. Une seule parmi l'infinité de vies qui apparaissent et s'éteignent constamment. Ce "presque rien" qui est pourtant le "tout" de chacun, pour ne pas être vertigineusement absurde, m'a conduit à embrasser "plus grand que moi". Dans le temps, en m'ancrant dans les vies qui m'ont précédé et en imaginant qu'un futur me survivra ; dans l'espace en parcourant ce qui, du monde, est perceptible par mes sens ; dans le différent de moi en constatant l'altérité de la perception d'un même monde.

Je suppose que c'est un invariant humain.

En élargissant ma propre perception au delà de ce qui m'est proche je me suis ouvert au reste du vivant, humain ou pas. Et cela a donné un sens à mon existence, l'a rendue précieuse à explorer et à vivre.

Dans l'immensité des espaces de "nature" j'éprouve la sensation d'appartenance à un milieu dans lequel je me sais vulnérable. Fuyant les concentrations humaines, la solitude me permet de retrouver la conscience de la toute petite place qui m'est temporairement accordée sur une planète perdue dans l'immensité sidérale.

 

James Webb

Les « Piliers de la création », situés à 6 500 années-lumière de la Terre, dans notre galaxie. © Crédit photo : HANDOUT/AFP

 

Mais jusqu'à quand ?

Face à ma propre finitude je ne ressens pas d'angoisse. Un jour je ne serai plus, et puis c'est tout. Le monde continuera d'exister et savoir cela me suffit. Je me sais être un des multiples rameaux d'une arborescence généalogique, issu de la continuation d'autres vies nées des racines d'ascendants dont les noms et les histoires se perdent dans les ténèbres. Ma descendance, elle, me projette vers un avenir que je ne vivrai pas. Tout continuera après ma disparition.

Du moins... c'est ainsi que j'ai considéré la chose durant la plus grande partie de mon existence, anecdotiquement confrontée à d'éphémères menaces de mort imminente. Globalement, autour de moi, ni maladie, ni guerre, ni famine. Tout au plus une récente pandémie m'a t-elle placé en situation de vague inquiétude, promptement rassurée par le respect de quelques consignes sanitaires. Et même lorsque, au paroxysme d'une crise d'intenses douleurs néphrétiques, je me suis cru proche de la mort, je pensais davantage aux désagréments causés aux autres par mon impréparation qu'à mes éventuelles dernières heures à vivre.

Ma mère est décédée l'an dernier. Ce fut triste, mais pas angoissant : nous avions eu des années pour intégrer l'extinction progressive de la vie dont elle rayonnait. 

Me reviennent évidemment à l'esprit d'autres pertes, plus bouleversantes, qui furent d'abord génératrices d'angoisse de séparation. Là, la menace était réelle, concrète, opressante. Ces périodes douloureuses suscitèrent un ressenti d'anéantissement : une part de mon aspiration à la vie allait "mourir" avec la coupure relationnelle. Je crois que cela a changé mon rapport à la finitude, alors éprouvée dans tout mon être. Ce faisant, il est possible que je me sois partiellement libéré de l'angoisse latente de fin, indissociable de chaque début. L'ascétisme relationnel serait-il un antidote ? J'en doute...

Désormais, dans le confort d'une existence calme et à ma mesure, sans menaces perceptibles, je pourrais prétendre ne pas ressentir l'angoisse de finitude existentielle. Mais est-ce vraiment le cas ? Cette tranquillité ne résulte t-elle pas d'orientations prises précisément pour éviter l'angoisse ? Ne ressens-je pas, au fond de moi, la peur de perdre ce qui fait que ma vie est heureuse ? La peur de perdre le lien avec les gens que j'aime et qui m'importent ? De perdre l'insouciance si des difficultés survenaient ? 

 

Car lentement, imperceptiblement, une autre éventualité, assez perturbante (angoissante ?), a pris place dans ma pensée : et si ce que je me réjouis de connaître était voué à un anéantissement, partiel ou total ? Non pas dans l'inéluctable extinction de la vie sur terre dans quelques milliards d'années, du fait de la dilatation finale du soleil, mais dans une échelle de temps beaucoup plus représentable. De l'ordre de quelques générations humaines, voire quelques siècles...

Il m'est devenu impossible d'ignorer cette possibilité, même si, bien sûr, elle n'est pas omniprésente dans mes pensées. Je continue à vivre comme si je n'avais pas cette conscience. Je me laisse porter par la rivière, comme si la possibilité d'une chute n'existait pas. À quoi bon lutter contre le courant lorsqu'il est trop fort ? Tout au plus puis-je tenter d'influer sur les autres molécules du flot en mouvement.

Il n'empêche que cette conscience est là. Elle teinte mes pensées, mes actes, mes orientations, mes projets.

« Le réchauffement climatique nous confronte à quelque chose de trop grand pour nous. Car ce n'est pas seulement notre survie qui est en jeu; l'avenir de l'humanité et des autres espèces est également en péril, le monde commun peut disparaître et nous comprenons que notre civilisation est précaire. [...] Ainsi, l'éco-anxiété n'est pas une mode ni une sorte de spleen contemporain, mais la réponse de notre psychisme à une situation inédite ». 

Corinne Pelluchon, « L'espérance, ou la traversée de l'impossible ».

 

Commentaires
J
L'une des plus fidèles commentatrices, n'est pas vraiment un exploit :D Fidèle lectrice, oui :)<br /> <br /> Si seulement canalblog pouvait conserver une trace de nos passages...<br /> <br /> Doux week-end, Pierre.<br /> <br /> Bises printanières de Balagne :)
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J
Coucou Pierre,<br /> <br /> J'ai lu (plusieurs fois) ton billet, le lendemain de sa publication. Et l'ai beaucoup apprécié. Que dire, je t'imagine bien porté par le torrent... Sourire.<br /> <br /> La photo est vertigineuse de beauté, merci pour le partage.<br /> <br /> Bonne soirée. Bises
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C
Je ne suis plus avertie de tes publications, désolée d'arriver si tard, du coup...<br /> <br /> Tu écris là un billet majeur, foisonnant, et universel : qui n'est pas confronté à l'angoisse de finitude un jour ou l'autre ?<br /> <br /> Chacun sur terre a eu, a ou aura sa réponse, et sa manière d'affronter cette peur (ou de se laisser submerger par elle). Une autre angoisse reposant sur le désir de "donner un sens" à quelque chose qui semble n'en avoir aucun. <br /> <br /> Sans doute l'humanité toute entière n'a-t-elle jamais, de toute son histoire, été si proche de sa fin...C'est ce qu'exprime la dénommée Corinne Pelluchon par son expression " une situation inédite".<br /> <br /> Il n'en reste pas moins que, faisant partie d'un grand tout, nous n'avons pas choisi, ni de vivre, ni de mourir. Cette fatalité qu'un illustre savant appela "le hasard et la nécessité" nous catapulte pour une poignée de secondes dans un monde hostile, perdu au milieu d'un cosmos infini et glacé, au milieu de gens qui semblent aussi hagards que nous, et reproduisent les mêmes erreurs, ce qui est, ton expression est bien trouvée, un invariant humain. Et comble d'ironie, nous sommes doués d'un cerveau qui nous fait constamment entrevoir avec effroi la fin imminente et inéluctable. De quoi devenir fou.<br /> <br /> D'ailleurs certains le deviennent, surtout s'ils acquièrent quelque pouvoir sur leurs semblables. Pauvres Rois pharaons, pauvres Napoléons, pauvres cendres de conséquence, comme disait Brassens. ... Ceux-là n'ont aucune conscience d'appartenir à autre chose qu'à leur ego surdimensionné...<br /> <br /> D'autres tentent effectivement de vivre dans la conscience de n'être qu'un maillon d'une chaîne beaucoup plus vaste qu'eux. Ils agissent donc en maillons, c'est à dire à leur échelle. <br /> <br /> J'aime beaucoup ce que tu écris à la fin :<br /> <br /> « Je me laisse porter par la rivière, comme si la possibilité d'une chute n'existait pas. À quoi bon lutter contre le courant lorsqu'il est trop fort ? Tout au plus puis-je tenter d'influer sur les autres molécules du flot en mouvement.» C'est justement ces micro-influences qui sont importantes : parce qu'elles donnent un sens à nos actes, même si ce ne sont que des gouttes d'eau dans l'océan. On n'est pas loin de la théorie du Colibri...<br /> <br /> <br /> <br /> Je ressens dans ton billet une dimension métaphysique, presque mystique, et cela me réjouit.<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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C
"Mon ami la rose" est une de mes chansons favorites, qui ne quitte pas ma playlist au fil du temps, surtout la version de Natacha Atlas...éphémères nous sommes et encore heureux.<br /> <br /> <br /> <br /> La vie, le deuil, la mort font partie de la petite étincelle que nous sommes dans un grand tout qui nous dépasse. <br /> <br /> Ma pensée bloque dans ce "tout" grand ou petit, ma compréhension bute et c'est pas faute d'essayer de saisir, études scientifiques obligent ^^.<br /> <br /> <br /> <br /> Dans un claquement de doigts, nous ne seront plus...fin de l'histoire.<br /> <br /> Pour finir en clin d'oeil, je cite Woody Allen :<br /> <br /> "La vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible"<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne soirée Pierre
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