Alter et ego (Carnet)

08 mars 2023

Travailler encore !

La réforme des retraites est au coeur de l'actualité. L'allongement de la durée de cotisation soulève la contestation d'une partie de la population. En particulier les personnes pour qui travailler est une contrainte pénible, dénuée d'autre sens que "gagner sa vie", par obligation. Il me semble que le problème est d'abord là : ne pas avoir de plaisir à exercer une activité professionnelle.

Il y a quatre mois je me questionnais sur mes envies contradictoires en matière de retraite. J'ai la chance [le privilège ?] d'aimer mon travail et le milieu professionnel au sein duquel je l'exerce. Dès lors arrêter mon activité se présente sous un autre angle. Cela m'oblige à renoncer à une satisfaction pour en obtenir une autre : être libéré d'un certain nombre d'obligations. Renoncer à un milieu stimulant pour disposer de davantage de liberté. Les deux pèsent dans la balance de la décision, sachant qu'une des options est définitive.

Le temps écoulé depuis novembre m'a permis de bien soupeser l'alternative... et j'ai opté pour une réduction de mon temps de travail. Une mise en retraite progressive, donc, à partir de cet été. Ou de l'automne, rien ne presse. Je me suis seulement engagé pour au moins un an avec mon employeur. Durée susceptible d'être prolongée selon mon désir. Ainsi je me donne la possibilité de tester les effets d'un rythme ralenti et voir comment je m'en accomode.

Certes, en faisant ce choix je reporte à plus tard la sensation de grande liberté qu'ouvre la perspective de pouvoir me lever le matin sans obligations. D'un autre côté je n'ai pas l'impression que les jeunes retraité·es que je côtoie soient nécessairement plus heureux qu'au temps où iels étaient actifs. Bien sûr iels semblent apprécier leur liberté, occupée par diverses activités. Mais sont-ils plus heureux que du temps où ils travaillaient ? Cela ne me semble pas flagrant.

Quoi qu'il en soit j'ai fait mon choix et je le réinterrogerai d'ici un an.

Et finalement ce n'est pas parce que j'ai d'ores et déjà, et depuis fort longtemps, « envie de faire plein de choses » qu'il y aurait la moindre urgence à me couper d'autres satisfactions actuelles. Je m'accorde le temps d'une mutation lente, finalement assez conforme à mon caractère : donner le temps au temps. Laisser mûrir, comme un bon vin. Laisser grandir, comme un arbre en majesté. Laisser évoluer, au plus près des perceptions du moment.

Adepte de la souplesse, je crois qu'il me sera toujours difficile de prendre des décisions tranchées. Surtout si elles sont irréversibles.

 

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Comme un arbre en majesté

 

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22 janvier 2023

De la finitude existentielle

En sortant du travail, il y a quelques jours, m'est revenue à l'esprit une proposition de méditation en petit groupe qui m'a été faite récemment. Je pensais ne pas donner suite, peu tenté par cette discipline que je n'ai jamais pratiquée. Encore moins si c'est à plusieurs. Je n'en ressens pas le besoin, peut-etre à tort. Ou peut-être parce que les moments que je passe "avec moi-même" me suffisent pour rester l'esprit suffisamment libre ? Et puis méditer... sur quoi ? Faire le vide et me centrer sur l'instant présent ? Instantanément mon esprit m'a porté vers la représentation de la fugacité de nos existences dans l'éternité temporelle. Puis celle de l'infinitésimale part que cette trajectoire personnelle représente dans l'espace terrestre, lui-même infime part de l'univers visible et invisible. Je me sais n'être qu'une poussière d'étoile dont l'éclat sera sera comparable à celui d'une étincelle de silex : d'une insignifiante brièveté. Si mon existence n'est pas "rien", alors elle est bien peu de choses [♪ et mon amie la rose me l'a dit ce matin ♫].

Ce soir là, dans la bulle protectrice de ma voiture, j'ai eu l'intuition que si la perspective de ma mort ne m'effraie pas c'est peut-être parce que je me sens faire partie d'un tout bien plus grand que ce que j'en perçois. Ainsi en va t-il de mon existence qui, tout entière,  tient dans une étincelle. Une seule parmi l'infinité de vies qui apparaissent et s'éteignent constamment. Ce "presque rien" qui est pourtant le "tout" de chacun, pour ne pas être vertigineusement absurde, m'a conduit à embrasser "plus grand que moi". Dans le temps, en m'ancrant dans les vies qui m'ont précédé et en imaginant qu'un futur me survivra ; dans l'espace en parcourant ce qui, du monde, est perceptible par mes sens ; dans le différent de moi en constatant l'altérité de la perception d'un même monde.

Je suppose que c'est un invariant humain.

En élargissant ma propre perception au delà de ce qui m'est proche je me suis ouvert au reste du vivant, humain ou pas. Et cela a donné un sens à mon existence, l'a rendue précieuse à explorer et à vivre.

Dans l'immensité des espaces de "nature" j'éprouve la sensation d'appartenance à un milieu dans lequel je me sais vulnérable. Fuyant les concentrations humaines, la solitude me permet de retrouver la conscience de la toute petite place qui m'est temporairement accordée sur une planète perdue dans l'immensité sidérale.

 

James Webb

Les « Piliers de la création », situés à 6 500 années-lumière de la Terre, dans notre galaxie. © Crédit photo : HANDOUT/AFP

 

Mais jusqu'à quand ?

Face à ma propre finitude je ne ressens pas d'angoisse. Un jour je ne serai plus, et puis c'est tout. Le monde continuera d'exister et savoir cela me suffit. Je me sais être un des multiples rameaux d'une arborescence généalogique, issu de la continuation d'autres vies nées des racines d'ascendants dont les noms et les histoires se perdent dans les ténèbres. Ma descendance, elle, me projette vers un avenir que je ne vivrai pas. Tout continuera après ma disparition.

Du moins... c'est ainsi que j'ai considéré la chose durant la plus grande partie de mon existence, anecdotiquement confrontée à d'éphémères menaces de mort imminente. Globalement, autour de moi, ni maladie, ni guerre, ni famine. Tout au plus une récente pandémie m'a t-elle placé en situation de vague inquiétude, promptement rassurée par le respect de quelques consignes sanitaires. Et même lorsque, au paroxysme d'une crise d'intenses douleurs néphrétiques, je me suis cru proche de la mort, je pensais davantage aux désagréments causés aux autres par mon impréparation qu'à mes éventuelles dernières heures à vivre.

Ma mère est décédée l'an dernier. Ce fut triste, mais pas angoissant : nous avions eu des années pour intégrer l'extinction progressive de la vie dont elle rayonnait. 

Me reviennent évidemment à l'esprit d'autres pertes, plus bouleversantes, qui furent d'abord génératrices d'angoisse de séparation. Là, la menace était réelle, concrète, opressante. Ces périodes douloureuses suscitèrent un ressenti d'anéantissement : une part de mon aspiration à la vie allait "mourir" avec la coupure relationnelle. Je crois que cela a changé mon rapport à la finitude, alors éprouvée dans tout mon être. Ce faisant, il est possible que je me sois partiellement libéré de l'angoisse latente de fin, indissociable de chaque début. L'ascétisme relationnel serait-il un antidote ? J'en doute...

Désormais, dans le confort d'une existence calme et à ma mesure, sans menaces perceptibles, je pourrais prétendre ne pas ressentir l'angoisse de finitude existentielle. Mais est-ce vraiment le cas ? Cette tranquillité ne résulte t-elle pas d'orientations prises précisément pour éviter l'angoisse ? Ne ressens-je pas, au fond de moi, la peur de perdre ce qui fait que ma vie est heureuse ? La peur de perdre le lien avec les gens que j'aime et qui m'importent ? De perdre l'insouciance si des difficultés survenaient ? 

 

Car lentement, imperceptiblement, une autre éventualité, assez perturbante (angoissante ?), a pris place dans ma pensée : et si ce que je me réjouis de connaître était voué à un anéantissement, partiel ou total ? Non pas dans l'inéluctable extinction de la vie sur terre dans quelques milliards d'années, du fait de la dilatation finale du soleil, mais dans une échelle de temps beaucoup plus représentable. De l'ordre de quelques générations humaines, voire quelques siècles...

Il m'est devenu impossible d'ignorer cette possibilité, même si, bien sûr, elle n'est pas omniprésente dans mes pensées. Je continue à vivre comme si je n'avais pas cette conscience. Je me laisse porter par la rivière, comme si la possibilité d'une chute n'existait pas. À quoi bon lutter contre le courant lorsqu'il est trop fort ? Tout au plus puis-je tenter d'influer sur les autres molécules du flot en mouvement.

Il n'empêche que cette conscience est là. Elle teinte mes pensées, mes actes, mes orientations, mes projets.

« Le réchauffement climatique nous confronte à quelque chose de trop grand pour nous. Car ce n'est pas seulement notre survie qui est en jeu; l'avenir de l'humanité et des autres espèces est également en péril, le monde commun peut disparaître et nous comprenons que notre civilisation est précaire. [...] Ainsi, l'éco-anxiété n'est pas une mode ni une sorte de spleen contemporain, mais la réponse de notre psychisme à une situation inédite ». 

Corinne Pelluchon, « L'espérance, ou la traversée de l'impossible ».

 

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17 janvier 2023

Parcours de conscience

Ethnographie des mondes à venir

Je suis en train de lire "Ethnographie des mondes à venir", entretien croisé entre Alexandre Pignocchi et Philippe Descola. Il y est question du rapport qu'une partie des sociétés humaines entretien avec ce qu'elle appelle "la nature" et qu'elle a d'abord entrepris d'explorer, puis d'exploiter, asservir, dominer, et finalement piller sans vergogne depuis... des millénaires.

Nous, européens et assimilés (c'est à dire partout où, historiquement, les habitants du vieux monde se sont accaparés des espaces, se sont donnés des droits, se sont servis en soumettant les habitants d'un territoire) usons et abusons de la puissance conquise par notre système de pensée. Il existe pourtant encore des sociétés humaines qui entretiennent un autre rapport au milieu qui les accueille, qui ne s'en sentent pas propriétaires mais cohabitants, reconnaissant aux autres vivants les mêmes droits à vivre, sans prédominance de l'un sur l'autre.

Ces conceptions des rapports entre l'humain et les autres entités sont difficiles a appréhender pour nous, occidentaux, conditionnés que nous sommes depuis des générations à considérer le monde au service de l'humain, lui-même s'étant opportunément placé au sommet de la hiérarchie. La notion même de hiérarchie, légitimant " de droit" toutes les dominations et asservissements, est au cœur du système autodestructeur dont nous commençons à percevoir les limites.

« Je découvrais, éberlué,  que le concept de nature, loin de désigner une réalité objective, est une construction sociale de l'Occident moderne. La plupart des autres peuples du monde se passent de distinction entre nature et culture et organisent de façon toute différente les relations entre les humains et les autres êtres vivants. La protection de la nature ne pouvait donc pas être, comme je l'avais imaginé, le contrepoint politique radical à la dévastation du monde orchestrée par l'Occident industriel. Protection et exploitation sont les deux facettes complémentaires d'une même relation d'utilisation, d'un rapport au monde où plantes, animaux et milieux de vie se voient attribuer un statut d'objet dont les humains peuvent disposer à leur guise - fût-ce pour les protéger » - Alessandro Pignocchi

Tout cela rejoint une perception personnelle profonde, restée longtemps à l'état de germe dans ma conscience.

C'est en entrant dans l'adolescence que j'ai perçu qu'il y avait quelque chose d'injuste, inapproprié, dans ce que je constatais de la destruction de la "nature". Cependant je ne savais pas comment contrer cette inexorabilité apparente de la marche du progrès : c'était comme ça, inéluctable. Par l'éducation issue de mon milieu d'appartenance je n'étais pas doté de l'appareil critique nécessaire pour déconstruire ce que l'on m'enseignait, me transmettait. Formatage transmis par des adultes eux-mêmes formatés génération après génération. Comment s'extraire de la matrice sans être acculturé par l'unisson de quelques voix discordantes ? Où les entendre ? Et combien de temps faut-il pour que, de fragment en fragments de conscience, lien après lien, en vienne à s'assembler une conscience plus éveillée ? Combien de pièces d'un puzzle à assembler avant qu'une image significative apparaisse ? Avant que l'envie d'aller chercher d'autres pièces dissimulées ne se manifeste ?

Mon éveil a eu lieu grâce à une sensibilité à ce que j'appelais "nature" : des espaces consituée de milieux les moins anthropisés ou dans lesquels la libre évolution tend vers une "renaturation spontanée". Il y a fort longtemps que je suis un admirateur des friches et autres lieux que l'homme délaisse après les avoir colonisés. Cette reconquète perpétuelle par le sauvage, ce "réensauvagement", me fascine. J'y vois un juste retour à la liberté du vivant, émancipé de l'asservissement par l'humain.

Plus tardivement m'est venue la prise de conscience des systèmes de domination institutionnelle, sans que je fasse le lien avec celle du vivant. D'abord vers la trentaine, lorsque j'ai renoncé à ma religion d'origine parce que dans celle-ci les femmes n'avaient pas droit aux mêmes attributions que les hommes. Cet éloignement m'a finalement conduit vers l'athéisme, avec l'émancipation qu'il permet. Plus tard, vers la quarantaine, ma conscientisation du système patriarcal, c'est à dire celui de la domination masculine, a été assez rugueuse. Non que je me sente détenteur d'un statut à conserver, mais parce que je n'avais pas senti à quel point il m'était largement invisible du seul fait d'être du côté des privilégiés, et conditionné à faire perdurer cet état de fait. Quelques éclairs de lucidité ont changé mon regard et conduit a davantage d'humilité. Le mouvement féministe a trouvé toute sa légitimité à mes yeux, aussi bousculant soit-il dans ses formes les plus radicales.

En comprenant comment la domination des uns sur les autres a été érigé en système, sont tombés un a un mes aveuglements. Après un détour remettant en question la légitimité de l'exclusivité sentimentale, forme plus subtile de domination par l'appropriation, je n'ai pas vu d'autre chemin d'émancipation que le célibat volontaire.

Vers le milieu de la cinquantaine une conscience écologique plus affirmée ma poussé à découvrir de plus près le système d'exploitation animale. Autrement dit, "l'élevage" (alors qu'il est factuellement un "rabaissage"). Plus récemment j'ai découvert l'écoféminisme, comprenant finalement que tout était lié  : déconsidérer l'altérité pour la dominer, l'exploiter, l'asservir.

Aujourd'hui, avec davantage de recul, je vois avec consternation combien les bénéficiaires de privilèges, quels qu'ils soient, savent se réfugier dans le déni de réalité pour que rien ne change. Tout ce qui pourrait faire vaciller de confortables avantages actuels est rejeté comme s'il s'agissait de positionnements extrêmistes inacceptables. L'homme blanc, riche, âgé, en est la caricature en ce sens qu'il cumule les privilèges. Il n'est cependant pas nécessaire d'avoir cette position sommitale pour être dominant·e : on peut être à la fois dominant·e et dominée·e.

Ce qui m'inquiète c'est qu'il est plus difficile de renoncer volontairement au confort matériel que de fermer les yeux sur les dominations que l'on exerce, indirectement ou pas, pour le maintenir, voire l'accroître.

(à suivre, peut-être...)

 

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30 décembre 2022

Racines

La fin d'année incite à tenter d'en réaliser le bilan. Il sera nécessairement incomplet, avec des éléments subjectifs choisis selon l'état du moment. Il peut être vu selon un angle élargi ou plus ou moins resserré. Pour moi ce sera ce dernier, quoique je ne puisse faire abstraction de certaines données d'ampleur mondiale. Je pense en particulier à la guerre en Ukraine et les souffrances infligées et endurées. Ce faisant j'omets d'autre souffrances et oppressions, plus lointaines ou moins médiatisées. Mais n'est-ce pas peu ou prou la même situation que les années précédentes, en un point du globe ou un autre ? Difficile aussi de ne pas songer à la perpétuation de l'exploitation des uns par les autres. Des humains dominateurs d'un côté ; tout le reste de l'autre : humains de toutes conditions (et plus particulièrement les femmes), animaux domestiques ou sauvages, forêts primaires tropicales et boréales, océans et mangroves, ainsi que moult autres espaces peu à peu dénaturés. Rien de nouveau pour l'année qui s'achève, si ce n'est le constat plus perceptible des effets du changement climatique un peu partout. La vague "prise de conscience" (?) qui en découle (où ?) fera t-elle changer quoi que ce soit dans la course vers l'abîme ? J'en doute. Jusque-là je ne vois rien de bien tangible...

Vu de ma fenêtre la notable sécheresse 2022 aura laissé des traces dans le paysage qui m'entoure. Et quelques morts : de vénérables arbres dix fois plus hauts que moi, que j'avais fait naître et laissé grandir presque sans encombre depuis trente ans. Leur vie s'est achevée bien plus tôt que prévu, avant la mienne, bouleversant l'ordre des choses. Et ce n'est que le début de l'hécatombe, selon toute vraisemblance. Une préfiguration des changements à venir, à l'échéance et aux contours incertains.

« L'avenir n'est plus ce qu'il était » disait Paul Valéry. Mais qu'était-il, en fait ? Promesse de temps meilleurs ? Chacun pouvait l'imaginer à sa guise et c'est seulement l'éventail des possibles qui semble se resserrer en montrant des impasses.

Il se trouve que, indépendamment de l'état actuel et futur du monde, j'entre dans l'âge auquel mon existence va prendre une nouvelle tournure. Une plus grande liberté est mon proche avenir et c'est plutôt réjouissant. Qu'en ferais-je ? Je l'ignore encore. Voyager, sans doute, bien que les distances lointaines autrefois envisagées ne puissent plus l'être sans états d'âme. Par contre je pourrai voir davantage mes enfants et les leurs. Et puis raviver, peut-être, des relations qui se sont distendues. J'envisage aussi, sérieusement, de travailler à la transmission des récits de vie et autres archives dont je suis dépositaire et héritier.

C'est d'ailleurs la notion qui transparaît dans les écrits que j'ai laissés ici cette année. Onze textes seulement (le douzième étant celui-ci) dont les lignes directrices seraient la disparition (mort, perte, finitude), la mémoire (souvenirs et lettres), la transmission (archiver, garder trace). Plus précisément j'ai relaté les pensées qui m'ont traversé lors du suicide de S., puis celles qui ont éclos autour du décès de ma mère. J'ai aussi été amené à revisiter mon passé à travers des lettres retrouvées, puis lors d'un travail analytique mettant en évidence mon ancrage fort dans le passé dont je suis héritier en ligne directe. C'est ce qui a forgé ma vision de l'existence, à travers le regard de ma mère et celui de son père. J'ai identifié l'origine atavique de mon fort intérêt pour le témoignage personnel, offert à qui pourra y trouver de quoi s'éclairer. C'est d'ailleurs bien avec un objectif de partage que j'ai entrepris, à l'origine, de livrer des éléments de mon auto-analyse et de mes réflexions. J'ignorais jusqu'à quelles racines et ramifications cela me mènerait...

Ainsi 2022 aura confirmé le bien-fondé d'une décision prise à l'aube de la quarantaine, sans qu'alors j'en identifie toutes les motivations. En exposant mes doutes et vunérabilités j'ai fait émerger mes forces. Si je devais en tirer une conclusion [provisoire], je dirais que ce choix - quelque peu audacieux - a été utile puisque je ne ressens plus la nécessité d'écrire. Il semble que je suis parvenu à résoudre ce qui pouvait l'être par ce vecteur d'expression et de conscience. Ou, du moins, suis-je parvenu à vivre bien avec moi-même, en acceptant mes limites.

Cependant demeure une incomplétude. Mais n'est-ce pas le propre de l'existence, en suscitant le désir de la vivre ?

 

 

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Racines - Une page d'un carnet de dessin de mon grand père, retrouvé dans les archives parentales. Ce lieu (Brookhaven) se trouve aux Etats-unis, à Long Island (N-Y State), où mes parents ont vécu pendant un an.J'aime à imaginer y avoir fait mes premières explorations de la nature environnante.

 

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Je n'avais jamais vraiment porté attention à ce croquis, pourtant vu dans ma jeunesse.  Le qualificatif "indépendant", associé à mon prénom, m'a surpris. Cela me caractérisait-il déjà ? Aujourd'hui il me touche, en reliant le trait de ma silhouette d'enfant à la main de mon grand-père, mort quatre ans plus tard. 

 

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Facétieux, mon grand-père m'attribua cette "Marine", assurément rendue plus représentative par quelques coups de gomme et traits de crayon bien placés

 

 

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13 novembre 2022

Qu'ai-je envie de vivre ?

Arrêter de travailler, c'était un horizon très lointain, pour quand je serais vieux. Cela arriverait un jour, évidemment, mais dans tellement longtemps...

La première fois que j'ai concrètement pensé à cette échéance j'étais au milieu de la quarantaine, un jour d'épuisement : faire ce métier pendant encore vingt ans ? Non, je n'y parviendrai pas ! Je me souviens nettement de cet instant, les outils à la main et le dos endolori, au milieu des jeunes arbres que, jusque-là, je cultivais avec passion. Ce jour-là je n'ai rien décidé mais, quelques années plus tard, contraint par les contingences, je renonçais à mon indépendance pour retrouver le salariat. Après une brève incursion dans le monde de l'enseignement technique, je trouvai finalement une place dans l'univers du travail social. D'abord au plus près du terrain et des hommes, ensuite comme gestionnaire. Cela fait quinze ans que j'exerce dans l'ESS (Economie Sociale et Solidaire).

Je dois reconnaître que je m'y plais. Je ne m'ennuie pas une seconde à mon poste de responsable : les journées passent trop vite, le rythme est soutenu... mais  j'ai la chance d'avoir un travail varié, une large autonomie et la confiance de ma hiérarchie comme celle de mes collaborateurs. Des conditions proches de ce qui me convient. De plus, ce travail a un sens puisqu'il aide des personnes en difficulté à aller vers davantage d'autonomie et de réalisation personnelle.

J'exerçais ce métier sans penser à la fin jusqu'à ce que le compte à rebours s'enclenche inopinénement, un jour de réunion, alors qu'au sein de l'équipe dirigeante nous tentions un peu de prospective pour les dix ans à venir. Je me suis alors rendu compte qu'à cette échéance je n'y serai plus.

La retraite, je savais qu'elle arriverait un jour, mais jusque-là ça restait très abstrait. Subitement l'idée devenait tangible : un jour je ne travaillerai plus. En prenant conscience, un peu amusé, de cette perspective dont le terme était à l'approche, je m'en suis ouvert spontanément. Une nouvelle réalité se mettait à tinter dans un coin de mes pensées.

Deux ans ont passé. La petite musique, d'abord intermittente, est devenue plus présente. Et la question du "quand ?" s'est insinuée. Partir tôt, ou rester longtemps ? Arrêter à l'âge légal de 62 ans ? À celui du taux plein à 64 ans et 8 mois ? Prolonger jusqu'à 67 ans ? J'avais plutôt en tête de poursuivre au plus loin, reportant la prise de décision ultérieurement. J'avais calculé que le montant auquel j'aurais droit serait relativement modeste si j'arrêtais tôt. Ayant autrefois vécu avec de faibles revenus, j'étais peu tenté de retrouver cette situation anxiogène. D'un autre côté je connais parfaitement les faibles besoins de ma vie de solitaire. Je sais aussi que moins j'aurai de revenus, moins mon mode de vie aura d'impact écologique. Arrêter tôt en réduisant mes revenus de moitié serait donc faire œuvre de salut public.

L'échéance étant imprécise, je ne pensais qu'occasionnellement à toutes ces considérations. J'en ai dit quelques mots à mon entourage, un peu à la légère, comme pour incorporer cette idée presque saugrenue. Je trouvais cela amusant d'associer le mot "retraite" à moi-même. Comme lorsque je suis devenu grand-père : je ne me sentais pas correspondre à l'idée que l'on s'en fait. Dans mon esprit je suis resté dans le plein épanouissement de mes 40 ou 50 ans. Je ne suis pas "vieux". Alors en parler, même sans y croire, mettre des mots sur la réalité, c'était aussi me familiariser avec l'idée de fin.

La fin du travail, la fin de l'utilité sociale, la fin du mouvement perpétuel entretenu par le renouvellement continu de projets et d'échéances. Mais aussi la fin d'un certain nombre d'obligations... et le début d'une liberté accrue. Liberté ? Je me connais : je pourrais en abuser. Et peut-être me laisser aller à un farniente aux relents coupables.

Il y a quelques mois j'en ai parlé avec mon père qui, lui, avait bénéficié d'un départ anticipé avant ses soixante ans. Alors que j'évoquais mes hésitations sur mon âge de départ, il m'a suggéré d'arrêter dès que possible. Cela m'a surpris de sa part, parce que je pensais que pour lui la valeur travail était primordiale. D'un autre côté je crois que sa proposition m'a libéré d'une auto-injonction à choisir l'effort et la stimulation des interactions professionnelles.

Aujourd'hui la question se pose plus précisément. M'étant ouvert à plusieurs occasions de cette éventualité en équipe de direction, il m'est demandé de me déterminer : je continue ou j'arrête ? Et quand ? Fidèle à ma nature indécise je penche pour une option en demi-mesure : la retraite progressive. Continuer à travailler, mais à temps partiel. Lever le pied progressivement.

J'hésite parce que je crains de me sentir déconnecté du coeur vibrant dans lequel j'ai actuellement ma place. Inversement je me demande si le fait de lever un peu le pied ne va pas me donner envie de décrocher complètement. J'aime mon travail et l'état d'esprit du milieu associatif dans lequel je l'exerce. D'un autre côté je sais apprécier grandement les périodes durant lesquelles je m'en éloigne. J'ai l'impression que ma vie intérieure est beaucoup plus riche et vibrante en solitaire, alors que la vie au rythme professionnel impose une cadence certes "vivante" et trépidante... mais pas nécessairement épanouissante. Le défi permanent que représente l'adaptation aux situations changeantes, aux échéances régulières, aux objectifs à atteindre, aux imprévus et aux méli-mélo des interactions humaines est  stimulant. C'est un peu comme un tour du monde à la voile : grisant mais épuisant.

Quitter la course, opter pour le rythme assurément plus lent et plus libre qui consiste à "prendre le temps", comporte une part de renoncement à l'illusoire sensation de vie éternelle. Se mettre en retrait, "prendre sa retraite", c'est, me semble t-il, accepter de ralentir. Accepter de laisser les autres continuer sans moi. Lâcher prise. Voir le monde continuer sans que je me sente acteur.

Bien sûr je sais que c'est faux : un retraité, quoique considéré comme "non-actif", peut très bien continuer à agir sur la société. Le monde associatif regorge de retraités engagés. Mon mandat d'élu municipal me permettra de continuer à m'engager en faveur de ce qui me tient à coeur. J'aurais même davantage de disponibilité !

En fait, ce que je redoute un peu, c'est que je pourrais très vite prendre goût à la liberté de choisir ce qu'il me plaît de faire ou ne pas faire. Je disposerai enfin du temps qui, d'une certaine façon, m'a toujours manqué. Il y a tant de choses que j'ai envie de faire !

Il va simplement falloir que j'accepte de me mettre en marge. Un peu. M'extraire des obligations du travail rémunéré pour entrer dans la liberté des activités choisies. Et accepter l'idée que la solidarité nationale puisse me verser une pension alors que je suis encore en pleine capacité de travailler. C'est un luxe auquel le fait d'y avoir "droit" ne me dispense pas d'en évaluer le bien-fondé. S'il n'y avait pas de retraite légale, assurément je ne me poserais pas ces questions : je continuerais.

Mais pourquoi ?

Ma réflexion va donc encore cheminer en me poussant à m'interroger : qu'ai-je envie de vivre ?

 

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Envie d'admirer le paysage qui s'offre à moi

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05 novembre 2022

Envahissement

Je ne sais pas ce que les autres voient en arrivant sur ce blog, mais de mon côté, depuis quelques semaines, j'ai cette vision d'horreur :

Capture d’écran 2022-11-05 à 21

De la pub de partout ! De la pub énorme, envahissante, laide, qui bouffe l'espace et s'étale sans vergogne aucune. Je ne retrouve plus "l'atmosphère", graphiquement personnalisée, qui fait que « c'est ici chez moi, espace extime ouvert à la lecture par autrui ». Là, maintenant, je ne me sens plus du tout "chez moi".

Je sais bien que Canalblog offrait gracieusement cet espace, depuis plus de quinze ans, contre je ne sais quelle source indirecte de rémunération. J'aurais été prêt à payer quelque chose pour continuer à en bénéficier sans importuner le lecteur mais visiblement c'est à lui de payer pour être dispensé de publicité.

À moins que la publicité ne soit arrivée que parce que mon blog est devenu très peu actif ? C'est ce qui semble devoir être compris dans les conditions générales d'utilisation :

Capture d’écran 2022-11-05 à 21

Ce désagrément notable ne m'incite guère à réinvestir cet espace, qui ressemble désormais davantage à une galerie marchande qu'à un lieu d'expression intime.

 

 

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12 octobre 2022

Vertigineux

« Le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à
vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux. »

Bruno Latour 

 

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10 août 2022

Tracer la mémoire du présent

À l'unisson de la population française, je me suis mis en mode "vacances" : en août, je ne travaille que trois jours par semaine. Cela me permet d'augmenter notablement mon temps de liberté et, de là, d'ouvrir des espaces propices à la réflexion. Je renoue ainsi avec une pensée flottante, vers laquelle, par nature, je suis volontiers attiré. Ma vie habituelle ne laisse que peu de place à cette errance mentale.

Le temps libre me permet aussi de me livrer à des activités sans cesse repoussées. J'ai entrepris, par exemple, d'actualiser l'inventaire des arbres que j'ai plantés et vois grandir depuis près de trente ans. Approximativement un millier, peut-être davantage. S'agissant d'espèces peu communes, je suis le seul à pouvoir les identifier facilement. Il serait donc dommage de perdre ce savoir le jour où je ne pourrai plus le transmettre.

Ce faisant, j'anticipe les conséquences de ma disparition. Je fais aussi un pari sur l'avenir : supposer que lesdits arbres me survivent. Ce qui, auparavant, du fait de leur longévité naturelle, aurait tenu de l'évidence, n'est évidemment plus du tout certain. La grande sécheresse qui sévit actuellement dans tout le pays me le rappelle sans ménagement. Les conséquences du changement climatique deviennent clairement perceptibles. Il se pourrait donc que l'inventaire d'un patrimoine vivant devienne la future liste des disparus. Déjà certains arbres, pourtant vigoureux et prometteurs, n'ont pas résisté aux trois années sèches consécutives de 2018-2019-2020. Auparavant d'autres étaient morts durant l'épisode mémorable de 2003. Rayés de ma liste, j'en ai néanmoins conservé la trace. La sécheresse actuelle fera t-elle encore de nouvelles victimes ?

Cet inventaire je peux l'enrichir car je dispose des données concernant l'histoire de la plupart des arbres : l'origine des graines, l'année de germination, la date de plantation. Il me faut simplement - euphémisme - rapprocher des fichiers numériques distincts pour les mettre en concordance. Tâche fastidieuse et chronophage s'il en est, reportée depuis des années pour cette raison. En outre, pour quelques arbres singuliers, j'ai depuis plusieurs années effectué des mesures de croissance : diamètre du tronc et hauteur. Ainsi je pourrais, potentiellement, fournir une base d'observations assez complète... pour qui s'interesserait, éventuellement, à cette collection dendrologique (du grec "Dendron", "arbre").

 

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Inventaire papier sur fond de feuilles sèches

 

Pourquoi m'astreindre à cette fastidieuse compilation de données ? Cela tient propablement de la même logique que l'écriture diaristique : faire oeuvre de mémoire. Relier dans une chronologie les constats du présent. Conserver la trace d'une évolution, d'un parcours. La photographie, en partie, joue aussi ce rôle mémoriel. Il en va de même pour les correspondances.

Voila le genre de travaux (in)utiles auxquels je peux me livrer lorsque je dispose de temps. Les idées de manquent pas et, l'âge de la retraite approchant, cela m'ouvre une belle perspective pour me consacrer à ce qui m'importe. 

La retraite ? Ouais, j'y pense forcément. Mais j'hésite encore : m'y mettre dès que possible... ou continuer à travailler tant que je trouve satisfaction dans ce que je fais ? Indéniablement j'apprécie une partie de ma vie professionnelle, qui tient du défi continuel. Chargé de piloter une activité en croissance, mon rôle consiste à tenir la barre sous une double contrainte : sociale et économique. C'est stimulant, jamais ennuyeux. Par contre il manque une troisième contrainte - écologique - dont l'insuffisante prise en compte me frustre. Je ne sens pas autour de moi une dynamique à même de faire évoluer les choses en ce sens. Du moins pas assez rapidement et pas avec l'ampleur nécessaire. Cela rend mon investissement professionnel bancal.

Mais le milieu professionnel a un avantage : il me permet un travail collaboratif, donc relationnel. Il représente une grande part de ma vie sociale. C'est important, pour un solitaire comme moi, de bénéficier de telles interactions. Une fois retraité, je risque de me complaire dans la solitude et de me priver ainsi d'échanges. Certes, tant que je suis engagé dans la politique locale je serai encore amené à interagir...

Le temps dilaté dont je disposerai à la retraite, qui me donnera une liberté à laquelle j'aspire, me pose vaguement question : la vie en solo ne va t-elle pas manquer de partage ? Mais en fait cela ne m'inquiète pas vraiment : il sera toujours temps de m'ouvrir à de nouvelles explorations !

Si, toutefois, les conditions d'existence le permettent, mais ça c'est un autre sujet...

 

[pour l'occasion j'inaugure un nouveau "tag" : le mot "retraite"]

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31 juillet 2022

Lettres oubliées

L'été a commencé avant l'heure. Il a déjà trois mois et fin juillet ressemble à octobre. Des feuilles sèches gisent au sol, bien trop tôp pour la saison. L'eau manque pour les arbres, une fois de plus. L'herbe a une couleur de savane et craque sous les pieds. Les ruisseaux sont à sec. Plus haut les glaciers fondent. Ailleurs des forêts brûlent.

N'en parlons pas : pour beaucoup c'est le temps des vacances et il ne faudrait pas les gâcher avec des considérations anxiogènes. 

Pour moi c'est la trève estivale. Le temps des réunions est suspendu jusqu'en septembre et les actions collectives, aussi urgentes soient-elles, sont reportées à plus tard. Libéré de ces multiples sollicitations, je retrouve du temps pour moi. Je peux cogiter un peu, et même écrire.

Il y a quelques jours, la chaleur caniculaire rendant l'extérieur peu attirant en journée, j'ai choisi la fraîcheur de la maison afin d'effectuer quelques rangements. Du tri dans des dossiers et divers documents, plus ou moins en vrac, m'ont permis de jeter des kilos de paperasse périmée. Archiveur désordonné, je garde baucoup plus que nécessaire. Peut-être pour avoir le plaisir de retrouver des traces de ce qui fut. Sensations ou émotions se ravivent alors, au hasard des désempilements et des redécouvertes. Dans cette sédimentation documentaire je constate l'écoulement du temps. C'est ma petite archéologie personnelle

Dimanche, j'ai ainsi eu l'heureuse surprise de découvrir de précieux documents dont j'avais oublié l'existence. Des lettres, laissées par C., puis L., deux des femmes avec qui j'ai accepté, jadis, l'exploration conjointe des possibles. C'était à l'époque durant laquelle, circonspect mais curieux, j'étais plutôt ouvert aux rencontres sensibles et me laissais approcher assez facilement. Était-ce pour vérifier mon potentiel de séduction, fragilisé par une sévère déconvenue ? Tenté par des parenthèses à tonalité affective et sensuelle, mais sans attachement, j'évaluais encore mal les conséquences et les impasses auxquels ce cocktail hasardeux pouvait conduire.

La relecture des lettres enfouies et leurs touchantes confidences m'a ramené en arrière, ravivant instantanément ce qui s'était partagé à ce moment-là. Images et sensations, douceur et discussions, questionnements partagés. Il y avait du vraiment bon et du... plus compliqué. C'est celui-ci qui m'est revenu le plus nettement. Comme une gêne mal enfouie, prête à ressurgir. Car je sais avoir, malgré moi, causé tourments et chagrins en ne répondant pas à certains désirs. J'en garde une sensation de malaise et d'inachevé. Le flou et l'incertitude causés par mes hésitations rendaient, je le sais, mes intentions peu claires. Je n'en suis pas fier. Il aurait fallu du temps, de la patience, du dialogue... ou au contraire, peut-être, que je prenne des décisions tranchantes. Mais j'ai la patience de l'alchimiste, qui persévère sans pouvoir garantir que l'expérience tâtonnante donnera un résultat réciproquement satisfaisant. Je crois que la complexité, en elle-même, me stimule.

Pour quelqu'un qui recherche la simplicité c'est, pour le moins, paradoxal ! Mais en fait non : c'est un peu comme si j'avais besoin de tout mettre à plat. Clarifier. Décortiquer les doutes et les ambiguïtés, les lever pour établir une confiance et parvenir enfin à cette tranquille complicité dans laquelle je me sens libre d'être moi. Traverser la complexité pour atteindre la simplicité, en quelque sorte.

Ce mode de fonctionnement est peut-être singulier. Trahit-il une sensibilité exacerbée ? Ou un désir d'idéal ? Une prudence excessive ? Un besoin absolu de clarté ?

Quoi qu'il en soit, cette quête reste inaboutie.

Des années plus tard je reste porteur d'une vague honte, plus ou moins refoulée : mes hésitations ont causé de la souffrance. Mes explorations relationnelles, mes indécisions, les épisodes de malaise les accompagnant, ne correspondaient pas à ce que je pensais pouvoir échanger dans une relative légereté. J'imaginais un partage d'envies, réciproquement nourricier, équitable et compatible. Durable. Mais généralement ça ne durait pas bien longtemps. Dès lors que l'on investit une part émotionnelle, sensible, affective, voire sentimentale... on prend le risque de mettre en évidence inéquité et décalage d'attentes. De ceux-ci peut naître la douleur mordante de la non-réciprocité. Celle qui vient nous chercher profondément, nous tenailler, ravivant des besoins inassouvis issus de l'enfance. Mettant à jour des vulnérabilités insoupçonnées. Pour moi, qui suis sensible à la sensibilité d'autrui, accompagner ce genre de situation est extrêmement délicat et a pu me mettre en échec. Être présent sans faire mal devient forcément périlleux puisque au coeur d'un antagonisme : rester proche et attentionné tout en ne pouvant pas l'être autant qu'espéré. Je n'ai pas toujours su faire.

Ce n'est pas fondamentalement impossible puisque je réussis l'exploit de partager une relation affective complexe depuis une douzaine d'années. Elle est cependant, depuis son origine, dans une perpétuelle précarité et se vit bien davantage dans l'absence que dans la présence.

Hormis cela, perturbé par trop d'expériences suspendues, j'ai mis mes désirs de rencontre en sommeil. Je n'ai plus su - plus pu, plus voulu - m'ouvrir à de nouveaux possibles. Et de fait, depuis une dizaine d'années il n'y a plus eu de rencontres aussi poussées. Par défaut, je suis redevenu "unipartenaire". Non par conviction, mais par pragmatisme. Par simplification. Par résignation. Par amitié, aussi. Par fidélité.

C'est bien beau tout ça, mais la vie, elle est où là-dedans ?

Mes énergies vitales se sont projetées vers d'autres champs de découverte, de réflexion et d'action. Je me suis engagé pour la cause écologique, qui a bien besoin d'être soutenue. Dans ce militantisme à ma mesure je trouve un contraste d'enthousiasmes et de déceptions qui a l'immense mérite de ne blesser personne.

Et la joie ? Elle est où, la joie ?

Dans les souvenirs, assurément, même si le passé n'est pas sa meilleure place. Au présent, si joie il y a, elle est dans la tranquillité du solitaire. Il s'agit davantage de contentement que de joie, d'ailleurs. Je me réjouis du modeste bonheur d'être épargné par le malheur. Et puis il y a ces moments partagés avec mes enfants, ma famille. Bien que solitaire, je ne suis pas seul. C'est ma chance !

Tout cela paraît sage, équilibré, satisfaisant. Reste à savoir si l'évitement de l'engagement relationnel est le meilleur choix à long terme.

 

[Et je me demande bien pourquoi j'ose encore aborder ce genre de sujet sur un blog en déréliction]

 

IMGP4703Plateau du Taillefer - Juillet 2022

 

 

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18 juin 2022

À part ça, tout va bien !

« À part ça, tout va bien ! » C'est la petite formule magique qui permet de désamorcer ce que l'on vient de poser en décrivant une situation insatisfaisante. Et parfois une suite d'évènements qui recèlent un fort potentiel d'épuisement mental ou de désagréments physiques.

Prendre ce contrepied indique, me semble t-il, la volonté de dépasser l'épreuve. De ne pas se laisser affaiblir. De continuer, malgré l'adversité, à voir la vie plus belle que moche, plus agréable que douloureuse. C'est peut-être un état d'esprit, ou bien un parti-pris. Fondamentalement c'est accepter l'idée que les difficultés font partie de l'existence et qu'il reste de la place pour se réjouir d'être vivant·e.

Il me plaît de sentir cette dualité, cette incertitude, dans laquelle je perçois une justesse, si ce n'est une justice. Une équité, qui découle simplement des aléas et de leur temporalité.

Pour quiconque a la chance d'accéder à un mode de vie qui permet d'aller au delà des besoins essentiels (se nourrir, être à l'abri, avoir des liens sociaux), chaque élément qui rend la vie plus confortable, plus agréable, contribue à cette sensation que « tout va bien ». Mais de là peut naître une dépendance : la perte d'un des éléments de confort est perçue comme douloureuse. De ce fait, il peut devenir impensable de déclarer, en toute conscience, que « tout va bien » si l'on ne sait pas relativiser l'importance des choses. Il suffit pourtant de se décentrer pour prendre conscience de la chance d'être né dans un pays d'abondance...

Le problème c'est qu'en prenant du recul, il y a d'innombrables raisons d'être affecté par autre chose que soi. Difficile de dire que « tout va bien » lorsqu'on élargit son champ de vision : misère, malheur et destruction y entrent. Il faut donc trouver la juste distance entre une vision autocentrée et une vision globale, tout en acceptant de n'avoir qu'un infime pouvoir d'action. Relativiser aussi dans le temps : ce n'est pas parce que quelque chose génère une difficulté à vivre maintenant que cela va durer.

Pour autant une difficulté, toute relative qu'elle soit, n'est pas à négliger. Elle peut générer un sentiment d'injustice, de tristesse, de frustration, de colère et une véritable douleur psychique. La relativisation est un dialogue de soi à soi, un processus d'acceptation dans lequel la personne concernée est la mieux à même de voir clair. Et il peut falloir du temps pour cela. Beaucoup de temps. Bien mal avisé serait celui qui voudrait décider pour autrui de la gravité d'un ressenti douloureux !

Il y a un mois, incité à donner signe de vie ici après deux mois sans écrire, je me suis laissé aller à disséminer des fragments d'explications, terminant avec un « à part ça, tout va bien ». Pour moi c'était une façon de dire sans dire, mais aussi de relativiser, et peut-être d'éviter d'entrer dans le détail d'une difficulté existentielle que précisément je relativise. Après tout, n'ai-je pas toutes les raisons d'être heureux ? Moi oui, certes, mais pour le reste ? En nommant quelques éléments d'insatisfaction, plus ou moins importants dans mon rapport à l'existence, j'entrouvrais une porte. Ce faisant je me donnais la possibilité de rompre un silence qui s'éternise.

Il s'éternise par manque de temps, principalement : en multipliant mes engagements altruistes je divise les moments propices à la réflexion. Et puis je peux le dire : je n'ai plus vraiment l'esprit à m'introspecter. Et encore moins par écrit. Ce que j'écris-là, en ce moment-même, me paraît... inutile. Je le fais sans doute par esprit de fidélité. Pour maintenir une forme de lien.

Honnêtement je trouve presque incongru [et laborieux] de tenter d'exprimer ce qui m'anime. Car ce qui m'importe, me touche, m'inquiète n'est pas vraiment partageable. D'une part je le ressens comme trop "sensible", d'autre part j'ai l'impression que ça ne résonnera avec personne. Ce n'est pas partageable ici mais ça ne l'est pas non plus ailleurs, excepté dans des cercles extrêmement restreints au sein desquels, même là, l'expression n'est pas aussi libre que ce dont j'ai besoin. Pour explorer mes profondeurs il aura fallu que me soit offerte l'opportunité d'entrer en confiance dans un registre vraiment intime pour que je découvre, par la parole, ce qu'à moi-même je cachais. Je sentais bien qu'il pourrait m'être utile d'aller scruter du côté des profondeurs émotionnelles mais je ne savais pas où trouver les conditions favorables. La proposition inattendue d'une psychologue de participer à la mise en place d'un protocole d'accompagnement concernant l'éco-anxiété m'aura ouvert cette porte. Je ne me sentais pas vraiment concerné mais le sujet m'intéressait suffisamment, depuis quelques années, pour que j'accepte de participer.

En seulement deux séances j'ai pu accéder à de nombreuses pistes liées à mon histoire personnelle. D'une part une forte sensibilité à la destruction de "la nature" ; d'autre part un lien puissant avec le passé émotionnel (vécu, ressenti...) et la transmission de celui-ci. Je porte en moi l'immense tristesse d'assister, impuissant, à un lent, silencieux, mais inexorable cataclysme.

Mais à part ça, tout va bien :)

 

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 Un autre été, quelque part dans ma région.

Posté par Couleur Pierre à 11:33 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
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