Liens attachants
Il y a eu quelques commentaires après ma note précédente, concernant ces liens d'un type nouveau qui se créent sur internet par le biais des blogs. Pas si nouveaux que ça, en fait... Il y a déjà pas mal d'années que des gens laissent leurs pensées sur le net, son lus, et que des affinités interactives se créent.
Comment tout cela va t'il évoluer ? Difficile de le dire puisque les premiers journaux intimes ont moins de dix ans d'existence. De ce que j'en sais, beaucoup de ces pionniers n'ont eu qu'une durée de vie limitée. Qu'est-il advenu des liens d'amitié qui s'étaient éventuellement développés ? Je l'ignore. Pour ma part je sais que certaines correspondances que j'ai durent depuis plus de cinq ans, et il n'y a guère de raisons qu'elle disparaissent. Du moins pas davantage que toute relation établie et que les aléas de la vie conduisent parfois à un éloignement progressif.
Le système du blog a toutefois la particularité de mettre en contact de façon bien plus constante que lorsqu'il fallait passer par les courriels: on se lit et s'entrelit, s'intercommente, dans des cercles relationnels qui se recoupent. On se "voit" (lit) les uns chez les autres. Il existe une sorte de copinage, presque une familiarité, avec parfois quelques liens privilégiés en coulisses. Voire un peu plus si affinités...
Et peu à peu on "s'attache" les uns aux autres. A force de suivre ces morceaux de vie tissés jour après jour, j'ai l'impression de partager un peu ces vies. Vos vies. Comme ce pourrait l'être avec des collègues de travail que j'apprécie, ou de tout autre participant à une activité régulière. Vous, là, qui me lisez et que j'identifie, faites partie d'un de mes cercles relationnel. Vous en savez plus sur moi, dans certains domaines, que mes proches. Je vous glisse mes réflexions ou confidences, espérant que cela touche quelque chose chez vous. La régularité des visites semble le confirmer...
Ainsi, par vous j'existe et je conforte ma solidité, mon assurance, ma confiance en moi. Certes il y a toujours ce côté impalpable et invisible qui rend le tout un peu plus "léger" que si c'était en face à face, mais à mon avis ça reste tout à fait valable. L'un n'empêche d'ailleurs pas l'autre, au contraire, puisque les contacts les plus proches se concrétisent tôt ou tard par une rencontre réelle.
Dans les commentaires il est aussi question de la disparition, ou de l'arrêt d'un blog. Pour moi, qui commence à avoir de la bouteille dans ce milieu, la question n'est pas inquiétante. Même si parfois je me suis demandé si je ne ferais pas mieux d'arrêter, cela n'a jamais eu de réelle prise. Cela correspondait à des moments d'ajustement, lorsque je craignais d'avoir trop dévoilé de moi. Je crois qu'avec le temps chacun apprend à doser sa capacité à s'ouvrir sans remords. Pour ma part, je ne vois pas de fin à cette écriture mi-publique, mi-amicale. Plutôt une évolution, à l'instar des plus anciens journaux encore en activité: espacement des interventions, mais sans extinction du journal.
Par un hasard qui n'en n'est pas un, il se trouve que les trois personnes dont les écrits m'avaient le plus touché lors de ma découverte des journaux en ligne, il y a plus de cinq ans, sont toujours "vivantes" (internautiquement parlant...). Et je dois dire que... oui, si elles cessaient d'écrire, je me sentirais sans doute un peu orphelin. Seul rescapé d'une époque révolue. Il faut dire aussi que je les ai toutes rencontrées...
Heureusement d'autres écrivants, quoique plus "jeunes" dans l'écriture en ligne, ont déjà une belle ancienneté. Cette continuité me semble importante et, oserais-je dire, porteuse d'espoir quant à la pérennité de ces liens.
Cependant, l'espacement des interventions maintient bien le contact, mais pas de lien à proprement parler. Sans entretien régulier un lien s'effiloche inévitablement. Ça fait aussi partie de la vie...
Je ne sais évidemment, pas plus que personne, comment tous ces liens évolueront dans le temps. Ni si des amitiés nouées sur internet, parfois concrérisées par des rencontres, pourront durer des années. Mais je ne vois pas quelle raison ferait qu'il y aurait une différence majeure avec des formes de liens établis de façon plus conventionnelle.
Peut-être que dans vingt ans des bandes de papis et mamies myopes et munis de dentiers continueront à tenir leur blog (en relief et odorama, avec le progrès...) et à raconter leurs vies. Peut-être qu'ils seront enrichis de ces réflexions croisées... à moins qu'elles ne soient devenues que des rabachages stériles et autre tourne-en-rond...
Quant à la question de disparaître brutalement, sans laisser de trace... oui, c'est quelque chose qui peut exister. Pour ma part je ne conçois pas les choses ainsi. Je me suis toujours dit que si j'arrêtais je le signalerais. C'est pour moi une question de respect du pacte tacite de l'écrivant vis à vis du lecteur. Même si le lecteur, lui, ne prévient généralement pas de sa disparition. Cependant, peut-être qu'un espacement croissant des textes mis en ligne peut avoir le sens d'un arrêt progressif. Et que, lorsqu'on en vient à se désintéresser de cette forme d'expression, que les échanges sont devenus inexistants, on peut disparaître sur la pointe des pieds... se sentant loin du monde des écrits en activité.
Je me suis ainsi éloigné jusqu'à disparaître de certains forums, autre mode relationnel, où j'étais parfois assez actif... Mais je ne sais pas si c'est comparable. Un forum est avant tout un lieu de passage, alors que je vois le blogue comme un jardin que l'écrivant aménage à son image tout en le laissant ouvert au regard des passants. Chaque texte, chaque photo, sont autant d'éléments d'un décor qui finit presque par appartenir autant à ceux qui les regardent qu'à celui qui les a plantés là. C'est en tous cas ainsi que je le ressens: ce site ne m'appartient plus vraiment, il fait partie du paysage de ceux qui le lisent. Et mon plaisir et d'essayer de le rendre attrayant...