Bonsaï
Coumarine a récemment écrit qu'elle détestait le mot "bonsaï". Pour ceux qui connaissent ma profession, ce mot ne pouvait que me faire cogiter.
C'est quoi un bonsaï ?
Une atrophie artificielle. Une contention, une maîtrise, une contrainte permanente. Certains parlent de torture. Raffinée et esthétique, certes, mais torture quand même. Ce dont se défendent évidemment ceux qui exercent cet "art".
Je suis très mitigé sur le sujet. Certes un bonsaï demande des soins constants, une très bonne connaissance de sa physiologie, et donc nécessite beaucoup d'amour d'attention. Mais à l'inverse c'est aussi une forme de domination absolue. Sans soins le bonsaï meurt. Il dépend entièrement de celui qui le soigne tout en le maltraitant. Tiens... ça me fait penser à la maltraitance des enfants. Ce lien de folie qui interdit de haïr le bourreau qui leur permet de vivre...
Un bonsaï c'est avant tout un grand arbre qu'on empêche de grandir. On le nanifie artificiellement, tout en l'obligeant à prendre la forme, parfois invraisemblable, qu'on veut qu'il ait. On lui donne l'apparence d'un beau et vieil arbre vénérable, mais on l'empêche de le devenir librement et vraiment. C'est une caricature d'arbre. Une caricature de vie. Et pourtant, certains bonsaïs sont de véritables oeuvres d'art. Ils sont rares...
En fait il existe des "bonsaïs" naturels. Ils poussent dans des enfractuosités de rocher, battus par les vents, dans des conditions de survie extrême. Ce sont des arbres-pionniers, des arbres-héros qui s'accrochent à la vie parce qu'ils ont une résistance particulière. Ils sont nains, mais parce qu'ils ne peuvent faire autrement. Ils ne demandent qu'à croître dans l'étroit espace de vie qui s'est offert à la graine. Un peu comme ces hommes qui survivent dans des lieux désertiques parce qu'ils sont nés là.
Mais le bonsaï "artificiel", celui qui a été maîtrisé par l'homme, n'a aucune liberté. Aussitôt qu'il tente de se développer on le rabaisse. On le taille, on le coupe, on le tord. Et pour restreindre encore ses envies de grandir, on taille aussi ses racines nourricières. Coupé en haut, coupé en bas, coupé sur les côtés. Orienté, mutilé. Mais avec amour...
Oui, d'une certaine façon c'est beau, un bonsaï bien soigné, qui a déjà vécu des décénnies. Arbre miniature il nous place à une autre échelle. On le domine, ce chétif. On est géant à côté de lui, ou bien on peut s'imaginer minuscule à côté de lui. Quelques instants...
Je ne sais pas trop pourquoi, mais en lisant la remarque de Coumarine je me suis dit que j'étais peut-être un peu comme un bonsaï qui chercherait depuis longtemps à devenir le grand arbre qu'il peut potentiellement être. Car si on lui rend sa liberté, il retrouve une croissance tout à fait normale. Mais c'est un peu comme si je ne parvenais pas vraiment à oser élancer mes branches, trop habitué à ce qu'elles soient taillées dès qu'elles tentent de s'émanciper. C'est comme si je cherchais le sécateur qui allait me trancher, me contenir, me rabaisser, me maîtriser. M'humilier. Comme si j'étais inquiet des soins qu'on pouvait m'apporter ou me soustraire, oubliant que je peux vivre sur mes propres racines et puiser moi-même ma nourriture et l'eau qui m'est nécessaire.
Non non non, je ne veux plus jamais être un bonsaï !