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Alter et ego (Carnet)
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20 décembre 2007

Comprendre au delà des mots

Ceux qui me lisent assidument n'ignorent pas que je suis porté à l'introspection comme d'autres le sont sur la bouteille, et ce depuis fort longtemps. Les tentatives d'analyse du fonctionnement de l'esprit me sont donc familières. Autrefois je tentais de comprendre mon propre fonctionnement (ce qui est déjà passablement compliqué...), mais à la longue je me suis rendu compte que celui des autres m'intéressait de plus en plus (car il m'est encore plus insaisissable). Avec, évidemment, une faille entre mon mode de pensée, relativement connu, et celui des autres, très largement inconnu. Cette différence, qui restera mystérieuse par son impossibilité à la supprimer, stimule ma curiosité et ma réflexion. Je crois que la complexité m'attire. C'est comme un défi...

Les (faux) hasards de l'existence faisant bien les choses, il se trouve que j'ai été amené à croiser la route de personnes qui sont, ô surprise, elles aussi portées au regard introspectif. L'expression de leurs réflexion est une aide précieuse pour relever le défi susmentionné, tout autant qu'un chemin de rencontre et d'émulation réciproque. Cet échange intellectuel n'est cependant pas le plus fréquent dans les relations humaines et il arrive que l'autre n'exprime pas son ressenti dans un langage directement intelligible. Il peut même se le dissimuler à lui-même sous des comportements inconscients. L'observation de l'autre offre donc d'autres champs de compréhension, et est donc devenue à mes yeux sujet de grand intérêt. De fascination, pourrais-je presque dire, si je ne craignais de me laisser emporter dans les superlatifs.

En fait, en tentant de comprendre le mystère de l'autre (et d'autant plus qu'il le dissimule), c'est moi aussi que je comprends au delà de ce qui m'est conscient. J'ai donc tout à y gagner. De plus, me comprendre (i.e. trouver un sens) dans le registre inconscient, c'est me permettre de mieux accéder à l'autre, par delà les barrières inconscientes qu'il érige afin de tenir debout. Finalement c'est une part du fonctionnement universel de l'humain que je décrypte au fil des années. Rien de moins.

Mon chemin de vie me porte doucement à m'intéresser professionnellement à l'analyse comportementale. C'est un mouvement lent parce que mon métier précédent, en prise directe avec la nature, se situait bien loin de ce registre. Il n'empêche que ce même métier m'a fourni quelques bases qui peuvent être utilement transférables. Notamment par rapport à la patience, à la non-compressibilité du temps, et même à l'avantage que l'on peut tirer des phénomène évolutifs lents. Or nombre d'évolutions dans le psychisme humain demandent du temps. Comme l'écrit Gilda avec une jolie formule: « J'y mets parfois le temps des arbres mais je finis toujours par arriver là où il fallait. » 

Il est encore trop tôt pour moi pour mettre vraiment à profit certains liens entre ces connaissances issues de milieux hétéroclites, mais je sens bien que des connections inattendues s'établissent. Je pressens aussi que mon chemin de vie et l'expérience qui en découle me fournissent une matière que je peux commencer à exploiter avec profit. Avec un égo qui devient moins envahissant je peux mieux entrer en relation avec l'autre et me mettre à son écoute. Ce n'est pas chose évidente, parce que mes capteurs de l'autre sont insuffisamment performants. Mon doute existentiel à très longtemps, par autocensure, rendu inopérantes mes antennes de récéptivité. Et même maintenant, alors que je me sens moins parasité par mon propre bruit intérieur, celui-ci peut vite enfler dès que la différence de l'autre génère un trouble en moi. Apprendre à écouter l'autre c'est déjà savoir mettre un filtre sur soi. C'est aussi se connaître suffisamment pour ne pas réagir avec l'égo.

Ce long préambule me mène à mon propos :

Je me vois inclus, sans l'avoir vraiment cherché, dans divers espaces de mise en commun du soi. Groupes de paroles, groupes de réflexion, groupes d'apprentissage de conscience de soi. Outre le vif plaisir que je ressens dans ces petites assemblées, je me sens porté par une énergie et une implication forte. Moi qui suis habituellement discret en groupe, je m'y vois prendre aisément la parole. Sans crainte. Mon vieux doute sur la validité de mes pensées semble avoir été balayé, à force de voir ma parole écoutée...

Dans ces divers groupes il m'arrive de mesurer le grand décalage qui existe entre les connaissances de mes comparses et les miennes, face à ce que transmet le formateur ou l'animateur. Je me sens parfois un peu "à part", à cause, précisément, de mes années d'introspection et de connaissance de certains fonctionnements comportementaux. En outre j'ai une petite expérience en formation que les autres n'ont pas. Du coup j'essaie d'agir dans le même sens que l'animateur, tout en pouvant garder la posture de participant qui m'est dévolue. Je me vois un peu entre le formateur et les formés. D'ailleurs il m'arrive fréquemment de me mettre dans la peau de l'anim
ateur, observant ses réactions, ses techniques, sa façon d'aborder et gérer les situations. Ce que je n'ai plus vraiment besoin d'apprendre dans le contenu qu'il transmet libère un espace pour apprendre sur sa technique d'écoute. J'aime bien ce léger décalage qui me permet de jouer entre le retrait et la présence. Je me sens encore plus en conscience en pouvant observer selon deux faces : celle du groupe ou celle de l'animateur.

La semaine dernière le groupe de érémistes avec lequel je travaille a suivi une formation obligatoire consistant à prendre soin de soi (santé, stress, etc). Tout le personnel était convié mais mes collègues encadrants ne se sont pas sentis concernés (!?) et je suis donc resté seul avec les encadrés et le formateur. Certains d'entre eux étaient très réticents face à cette formation, et j'ai noté que ceux qui avaient réagi le plus fortement face au thème "stress et relaxation" étaient précisément ceux qui en avaient le plus besoin. C'est à dire des personnes expansives, plutôt envahissantes verbalement, hyperactives, rétives face aux recommandation de sécurité, sollicitant leur corps de façon inappropriées. Ce sont les mêmes qui, tout au long de la séance, ont manifesté leur existence et leur désapprobation. Ils ont apporté à répétition un certain trouble, un "bruit de fond", que le formateur a fort bien su désamorcer. Manifestement hermétiques à ce qui leur était dit, ils ont eu aussi beaucoup de difficultés à rester concentrés. Lorsqu'il nous a été demandé de passer à des exercices pratiques de conscientisation du corps, au moyen d'exercices respiratoires ou de mouvements, il était flagrant que tout en eux résistait à ce réinvestissement. Soit par une incapacité à se détendre, soit au contraire par une impossibilité manifeste à mobiliser un corps avachi, sans consistance. L'un a dit « je ne sens rien » pendant un exercice destiné à justement faire prendre conscience de son corps. Un autre a fini par clamer ce qu'il n'avait cessé de répéter avant la formation : « tout ça, ça sert à rien ! ». J'observais de temps en temps du coin de l'oeil chacun et "sentais" leur dynamique comportementale. Avec une capacité de lecture un peu distanciée j'ai pu décoder partiellement leur mal-être. Il m'était nettement perceptible. Avec ces personnes, toutes plus ou moins accidentées de la vie, je bénéficie d'un poste d'observation de choix. J'apprends beaucoup.

Le lendemain, sans lien avec la situation précédente, nous avons eu une séance d'analyse de la pratique avec une psychanalyste. L'analyse de la pratique, c'est la mise en commun des questionnements de personnes impliquées dans la relation d'aide et confrontées à des problématiques particulières. La psychanalyste tente alors d'élaborer des pistes, de décrypter la situation et le sens de comportements singuliers, puis de fournir quelques clés de comprehension. J'ai donc fait part de mes observations autour de ces personnes hyperactives et envahissantes, et de mon souci de les voir rester hermétiques à ce qui pourrait les apaiser.
Habile, la psy sut me faire comprendre indirectement que j'avais moi aussi à m'interroger sur ce qui me dérangeait dans leur attitude... Oups ! effectivement, ça c'est à moi de voir. Mais elle a surtout affirmé que s'ils agissaient ainsi c'est que ça leur était probablement nécessaire, voire vital. Une tratégie de survie qui consiste à ne pas être dans la conscience de soi, parce que celle-ci pourrait bien être trop douloureuse. D'ailleurs, ces personnes sont aussi celles qui manifestent fermement leur désir de ne pas penser. Le travail forcené, l'hyperactivité, empêchent bien sûr de penser à soi... A suivi un long échange entre les encadrants et la psy, qui nous a suggéré des pistes de compréhension. Et bien souvent, il faut aller au delà des apparences. Comprendre à travers un comportement l'inverse de ce qui est affiché. En gros celui qui s'affiche veut cacher qu'il est l'inverse de ce qu'il montre. Affirmer « je suis comme ça », veut surtout dire « je ne veux pas montrer que j'ai peur d'être l'inverse ». Fascinant de chercher à décrypter au delà des apparences, non ?

[eeeeuh... et moi, qu'est-ce que je cherche à être ou ne pas être, en écrivant mes réflexions ??]

Voila ce qui me plaît : comprendre les réactions humaines. Donner sens. Et même si rien n'est certain, avancer pas à pas vers une meilleure adaptation à ce que l'autre à de différent. Dans la relation d'aide, c'est tenter de lui apporter ce dont il aurait besoin mais dont il n'a pas concience. Faire précautionneusement prendre conscience qu'il y a peut-être quelque chose au delà des barrières de protection, mais sans les affaiblir... parce qu'elles sont nécessaires. Savoir secouer à bon escient, aussi, et donner un cadre à ceux qui cherchent des limites. Ni trop, ni trop peu.

Passionnant vous dis-je...

Voila qui me ramène à la question que j'ai posée à ma psy, la semaine dernière :
Moi : « Vous aimez votre métier ? »
Elle, avec un grand sourire : « Oui, beaucoup. J'aime beaucoup mon métier ! »

Je m'en doutais, mais ça m'a fait plaisir de l'entendre confirmé.

Commentaires
P
C'est tout à fait vrai : on devrait toujours s'interroger sur les négations que l'on oppose à ce qui peut nous être dit. Et ce, d'autant plus que notre réaction est vive...<br /> <br /> En fait le questionnement devrait-être permanent. Rien n'est jamais acquis, pas même la connaissance de soi. Surtout pas... Méfions-nous des certitudes, malgré l'apparent confort qu'elles nous apportent.
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D
"Comprendre à travers un comportement l'inverse de ce qui est affiché."<br /> Il y a bien d'autres clés magnifiques dans ce billet mais celle-ci m'est particulièrement chère. <br /> C'est pourquoi, plus le temps passe, plus il m'est difficile de comprendre lorsque j'entends parler du ou des "défaut(s)" de telle ou telle personne. Je crois voir le plus souvent le mécanisme de défense (et le négatif ainsi révélé donc) que ce(s) défaut(s) exposent. Le plus difficile ensuite est peut-être de ne pas systématiser ou verser dans la sur-interprétation. <br /> Mais ce désamorçage me semble la voie nécessaire pour prévenir les collisions stériles.<br /> D'où peut-être aussi la nécéssité de prendre réellement conscience de son image, ou de ses images, pour ceux que nous croisons. Identifier les défauts qu'on nous prête, peut permettre d'atteindre plus rapidement ses propres mécanismes de défense, ses propres noeuds. Avec ce premier sentiment d'injustice lorsqu'on identifie cela et cette réaction : mais je ne suis pas du tout comme ça... Précisément.
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