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Alter et ego (Carnet)
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9 février 2008

Une journée ordinaire

Hier matin. Il fait encore nuit lorsque je me lève, comme chaque jour où je travaille. Il y a des étoiles dans le ciel, ce qui, comme chacun sait, est un bon présage pour la météo du jour. Effectivement, lorsque, une fois prêt, je démarre ma voiture et gratte le pare-brise légèrement givré, je vois se dessiner la ligne de crête des montages sur l'horizon bleu de la lueur du jour.

Sur la route les infos du matin balisent mon parcours selon les interventions chronométrées des chroniqueurs. C'est aussi une façon de savoir si je suis à l'heure, en me fiant aux repères significatifs de la route qui défile. Certains jours je n'écoute pas, lorsque je n'ai pas envie que le lourd pouls du monde interfère avec le mien.

Arrivant au travail, de ma voiture je vois la collègue avec qui je m'entends bien et nous nous faisons un amical signe de la main. Elle arrive presque toujours plus tôt que moi, qui ai la ponctualité tardive...

L'équipe des salariés en insertion arrive aux vestiaires en s'égrénant. Poignées de mains souriantes, prise de température du moral en observant les regards et les sourires, petites nouvelles de chacun. Parfois bonnes, parfois moins. L'une des salariées a de sérieux soucis puisque sa banque a bloqué son compte. On cherche des solutions, elle ne travaillera pas l'après-midi, pour tenter de régler ça.

Départ pour le lieu de travail du jour. On ne le décide souvent qu'au dernier moment, en fonction de la météo, des présents, et des besoins. Hier c'était, comme la veille, des travaux d'entretien dans un espace naturel. Une zone humide préservée au milieu des parcelles agricoles environnantes. Une réserve pour d'invisibles oiseaux aux cris étranges. Les hautes pailles dorées des roseaux les cachent, de même qu'une forêt de saules qui poussent dans l'eau. Au loin une forêt résonne des craquettements des hérons. Le soleil frais du matin révèle les teintes nuancées du lieu, sous un ciel bleu éclatant.

Nous sommes équipés pour cet endroit particulier : bottes, cuissardes de pêcheurs pour travailler dans l'eau. Couper quelques petits arbres envahissants, sans dénaturer le site, dégager les clôtures protectrices.

A midi, pause repas. Assis dans l'herbe, chacun sort son casse-crôute. Pique-nique en pleine nature, comme chaque jour. Le printemps qui se rapproche les rend plus agréables. Quelques premières fleurs, ainsi que les chatons des saules qui éclosent confirment l'allongement incontestable des jours. Le soleil chauffe davantage.

Discussions avec ma collègue de travail, toujours bavarde, soucieuse des relations humaines dans l'équipe et du bien être de chacun. Un petit bout de femme montée sur ressort, en révolte permanente contre le monde, mais ponctuant ses colères de grands sourires. Fermeté des idées alternent avec une autocritique constante. Elle affirme ses idées pour, quelques minutes plus tard, me demander « Tu me trouves trop dure/exigeante ? ». Je lui fait alors part de mon point de vue plus nuancé, déclenchant des réactions d'une infinie variété. Parfois elle me demande de me taire, en rigolant, et je sais que j'ai touché juste. Ou alors c'est le lendemain qu'elle revient vers moi, ayant été ébranlée dans ses convictions. D'autres fois elle me secoue en me disant que la vie n'est pas aussi simple que je semble le croire. On ne s'ennuie jamais tous les deux...

L'après-midi de travail reprend tôt, à midi et demie. Mais elle se termine en conséquence : à seize heures les salariés rentrent chez eux. Nous, les "chefs d'équipe", restons souvent plus tard pour discuter de tel ou tel salarié, ou des améliorations à apporter par rapport à nos objectifs mixtes : effectuer des prestations tout en formant des personnes aux capacités diverses. Tenter de faire coincider les objectifs de la direction, plutôt économiques, et ce que nous percevons au contact de l'humain et de la mise en oeuvre du travail. Pas évident... Ma collègue, embauchée depuis quatre ans, sent son énergie s'épuiser à cause de la frustration de ne pas pouvoir faire changer les choses comme elle le désirerait. Et pourtant elle adore son métier, qu'elle exerce avec passion. Elle aime vraiment ce qu'elle fait en contact avec des personnes dont elle sait mettre en avant les capacité, tout en ayant à leur égard une exigence soutenue. À côté d'elle je sens bien que je n'ai pas la même finesse de perception. Mais je vois aussi d'autres aspects, auxquels elle est moins sensible. Nous nous complétons bien et notre appréciation est mutuelle.

Retour chez moi un peu plus tard que prévu. Le soleil se couche déjà alors que je voulais profiter de la fin d'après-midi pour travailler dans un autre espace de nature : mon jardin. Tant pis, ce sera pour une autre fois. D'ailleurs j'ai bien d'autres choses à faire : corrections et ajout de textes sur le site internet de notre équipe qui se présente aux éléctions. J'y passe pas mal de temps...

Le soir je me rends chez Charlotte. Nous devons chiffrer précisément notre patrimoine, après un rendez-vous commun chez le notaire qui nous a expliqué en quoi cela consistait. Ce n'est pas très simple puisqu'il faut arriver à quelque chose d'équitable tout en tenant compte de variables importantes. Par exemple l'argent que nous ont donné respectivement nos parents, en avance d'héritage, ne fait pas partie des biens partageables lors du divorce. Et puis au milieu de tout ça il y a ma petite entreprise qui, quoique largement désinvestie, conserve une certaine valeur.

Les histoires d'argent sont vite complexes, car porteuses d'enjeux importants. Charlotte a besoin d'argent pour acheter un logement. Et puis se fixent sur ces sommes de vieilles histoires pas tout-à-fait digérées. Charlotte n'a pas oublié que ma grande remise en question personnelle m'a fait désinvestir mon métier qui, du coup, ne rapportait plus grand chose à la famille. Elle n'a pas oublié non plus que j'étais parti au Québec, il y a quatre ans, pour un voyage qui n'avait aucune raison de la réjouir, avec de l'argent qui faisait partie du patrimoine commun... Mais enfin les mots se disent, s'écoutent, et notre bonne volonté mutuelle fait que nous cherchons à nous entendre sans qu'aucun de nous ne se sente lésé. J'imagine ce que cela peut donner lorsque de la haine et du ressentiment a pris place dans le couple...

Nous avons fini notre soirée en nous serrant fort dans les bras durant quelques instants, ce qui n'était plus arrivé depuis des mois.

Quoique ordinaire, c'était une belle journée.

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Jeu de lumière sur écorce de bouleau

Commentaires
P
Alainx, ton message me touche beaucoup. Merci.<br /> <br /> En même temps il me trouble : je ne pense pas apporter autant que ce que tu m'attribues aux personnes avec qui je travaille. Probablement parce que je manque de confiance en moi et n'exploite pas vraiment mes ressources intérieures. Cependant, bien que je ne me sente pas encore parvenu à cet état d'être-soi , j'essaie incontestablement de m'en approcher.
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A
Comme elles sont belles tes journées ordinaires...<br /> Je me disais qu'ils ont de la chance ces "salariés en insertion" de bénéficier de ta *présence*, car c'est bien cela qui transparait, un homme présent à lui-même dans l'avancée de sa maturité d'homme.<br /> Cela force le respect.<br /> Tu es un homme comme il en faudrait beaucoup de part le monde. Un vivant qui cherche inlassablement.
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P
Oui oui, Valclair, il y a bien quelque chose de la conquète pour en être arrivé là. Conquête de soi ?<br /> <br /> Isis... un partage qui ne se fait pas, de la haine... n'est-ce pas une façon de maintenir un "lien" ? Mais en négatif...
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I
comment ça se passe quand la haine a remplacé l'amour?<br /> eh bien ...13 ans et demie après le partage n'est pas fait.<br /> isis
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V
Oui, magnifique journée même...<br /> Etre dans un travail qui associe proximité à la nature, activité physique, présence relationnelle aux autres. Pouvoir être ensuite en harmonie avec ton ex-compagne...<br /> Tu as su te mettre à ce qui, pour aujourd'hui, est ta juste place. <br /> Mais ce n'est pas un donné du hasard, c'est une place que tu as su construire, peut-être même faudrait-il dire conquérir.<br /> Chapeau Pierre!
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P
La sérénité vient aussi de l'évidence qui permet d'aller de l'avant, Franck :o)<br /> <br /> Être là, dans l'instant, avec qui veut bien le vivre ainsi. Cela devient une philosophie de vie, Diaphalune...
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D
Accueillir un nouveau jour, se sentir frais et léger,là,comme ça,simplement,être utile à quelqu'un,apprécier l'instant, oublier quelques minutes ses doutes...Merci de partager cette sérénité.Tes petits bonheurs me font du bien.
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F
Une sérénité communicative se dégage de ton billet, de ton regard, ai-je envie d'écrire. Il y a une sorte d'évidence qui donne envie d'aller de l'avant, toujours.<br /> Merci !
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