Pauvre con !
Difficile d'échapper au dernier débordement verbal de notre vibrionnant président au Salon de l'agriculture. Il serre des mains, s'approche d'un homme, et celui-ci lui dit « ah non, touche moi pas ! ». Sakozy lui rétorque « alors casse-toi ! ». « ... tu vas me salir », poursuit le premier. « Casse toi, pauvre con ! » terminerait le président [le son, inaudible, est sous-titré] en se tournant vers d'autres mains. Bel exemple de rejet mutuel duquel le président ne sort pas grandi. La vidéo crée un petit scandale. Moi, elle ne me choque pas. Je ne suis pas surpris par cet énième débordement d'un homme manifestement impulsif, prêt à en découdre avec quiconque se place sur son chemin. On l'a déjà vu prêt à se battre avec un marin-pêcheur, partir à l'abordage de journalistes sur leur barque, sans oublier le célèbre coup de Karcher. Le moins que l'on puisse dire est que sa capacité au dialogue courtois est assez fruste.
On lui reproche donc, à juste titre, de ne pas "tenir sa place" et de ternir l'image de la fonction présidentielle. Il est certain qu'il la repeint à sa guise... Mais qu'attendait-on de lui ? Qu'il change, alors qu'il se montre ainsi depuis bien avant son investiture au poste de candidat ? Comment peut-on encore être surpris par cet homme, qui reste fidèle à ce qu'il a toujours été ? Il est arrogant, démésurément ambitieux, dit ce qu'il pense sans prendre de gants. Il a été élu pour ça, il me semble... Cette façon d'être plaît à suffisamment de gens pour qu'ils l'aient mis à la tête de l'état. Tout ce que j'espère, c'est que ce qu'il nous inflige fasse un peu réfléchir à l'avenir...
Maintenant, après avoir vu sa part de responsabilité, regardons un peu la notre, outre le fait de l'avoir élu. Ce qui me surprend, voire me dérange, c'est cette attention constante que les médias lui portent, traquant le moindre dérapage pour le mettre en exergue. Certes, c'est leur rôle, mais ne contribuent-ils pas largement à ce qu'il entendent dénoncer ? À l'ère de la surinformation en temps réel, notamment via internet, il y a de quoi se poser la question.
Ce qui me chiffonne, c'est aussi la façon dont, assez unanimement, cet homme est conspué. Je ne m'inquiète pas pour lui, je suppose qu'il a le cuir épais. Mais quand même, à force de se foutre de sa gueule sans retenue, allant jusqu'à se moquer de son physique, n'atteint-on pas aussi, derrière l'homme, la fonction présidentielle ? Le type qui se trouve dans la foule (pour regarder l'animal de foire en représentation ?), et ne veut pas être touché par le chef de l'état pour ne pas être « sali », qui le tutoie, n'est-il pas aussi le produit d'une attitude collective qui manque singulièrement de retenue et de respect envers ladite fonction présidentielle ?
On attend d'un président qu'il se situe au dessus de ça, et qu'il garde son calme en toute circonstance, gage de sagesse et de tempérance. En bref : que l'homme s'efface derrière la fonction. Mais quand on élit collectivement un trublion arrogant et fier de l'être... et bien on a ce qu'on a voulu (ce qu'ils ont voulu...). Ce que je veux dire par là c'est que ce président est issu de notre comportement collectif, et de l'évolution d'une société dans laquelle nous avons tous notre part. Je trouve facile d'attendre systématiquement des autres (entendez, "ceux qui nous gouvernent") qu'ils endossent l'entière responsabilité de ce que nous sommes collectivement. Sarkozy est le président de la France d'aujourd'hui, et nous sommes tous co-responsables de ce qu'elle est. L'irrespect, les incivilités, la perte des repères, dont on parle tant pour les banlieues, ou à l'école, ce n'est pas Sarkozy qui l'a créé : il s'en est servi. Il contribue certes à l'entretenir, du haut de l'échelle symbolique... où nous l'avons placé. Qui est ce "nous", si ce n'est la société que nous faisons tous ?
Oui, je sais, beaucoup n'ont pas voulu de lui et se désolent de le voir persister dans la voie qu'ils redoutaient. Je partage leur avis, leur révolte, et comprends donc qu'il puisse y avoir une sorte de revanche jubilatoire à traquer ses dérapages, voire à le honnir. Fonction d'exutoire. Pour ma part, je m'attache à voir en quoi je suis "responsable" (pour quelques dizaines de millionièmes) de ce genre de dérives. Voila pourquoi je ne peux être solidaire du concert anti-sarkozien...
En revanche, les manoeuvres tendant à détourner la constitution me semblent beaucoup plus préoccupantes et appellent à une grande vigilance. C'est de ça dont il faut parler (mais c'est nettement plus compliqué...), pas des dérapages verbaux de l'auguste histrion.
Ce matin j'entendais à la radio que « De Gaulle avait taillé le costume de la fonction présidentielle à sa mesure». Il est vrai qu'il était grand... et que la société était bien différente. J'ai quelques difficultés à imaginer, sur les images noir et blanc de l'Ortf, un quidam apostropher le grand homme : « Ah non, Charlot, touche-moi pas, tu vas me salir ! »
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