Manipulation et manigances
Aussitôt élu, ma naïveté se trouve confrontée à la réalité de la politique. Ou du moins une certaine idée que certains se font de la politique : la fin justifie les moyens.
Manipulation : Amener quelqu'un à agir dans le sens que l'on souhaite, s'en servir comme moyen pour arriver à ses fins.
Manigance : Manoeuvre secrète qui a pour but de tromper, de cacher quelque chose.
Je me suis fait berner comme un débutant (avec des circonstances atténuantes : je le suis !).
Non seulement j'ai été trompé, ainsi que quelques-uns de mes co-listiers, mais en plus j'ai été rendu complice, à mon corps défendant, d'une tromperie vis à vis des électeurs. Oh, rien de bien grave sur le fond, mais fort préoccupant quant au principe.
Voici les faits : celui qui s'est présenté comme "tête de liste" avait prévu dès le départ de se désister au profit d'un autre candidat. Pas n'importe lequel : un ancien maire qui n'avait pas été réélu. Très connu dans le village, ce dernier faisait duo avec celui qu'il présentait toujours comme « conduisant la liste ». Seule une partie de mes co-listiers connaissait la subtilité de la manoeuvre.
Quand, dans un certain flou, la nouvelle a été annoncée mardi soir à ceux d'entre nous qui l'ignoraient, j'ai été outré. Non seulement d'avoir été trompé, mais surtout de faire partie d'une liste qui cache cette réalité aux électeurs, attendant que le vote soit effectif pour dévoiler ses cartes. C'est comme si on vendait un produit pour le substituer par un autre une fois la vente conclue. Cette attitude va à l'encontre de mes convictions fondamentales. En outre elle s'oppose radicalement à une de nos idées fortes, bien mise en évidence dans notre programme : agir en toute clarté.
Certes le procédé n'a rien d'illégal : c'est bien le conseil municipal élu qui désigne son maire et rien n'oblige à ce que ce soit celui qui a conduit la liste. M'enfin bon... entre une possibilité de changement et une préméditation, il y a une nuance qui permet de s'en tirer à bon compte...
Là où j'ai ma part de responsabilité, c'est que j'avais flairé cette éventualité dès la première rencontre des deux comparses. J'avais bien senti que "tête de liste" avait davantage l'air d'un suiveur que le volubile bavard qui, à ses côtés, se présentait comme un humble assistant désireux d'offrir ses compétences. J'étais entré avec circonspection dans cette liste, attendant de humer l'ambiance au contact des autres, que je ne connaissais pas. Et puis à la longue j'avais vu se dégager de belles énergies, malgré la lourdeur empesée d'un passé dans lequel d'autres semblaient restés englués. J'ai préféré voir le bon côté des choses, faire preuve d'optimisme. C'est ma tournure d'esprit. Il n'empêche que quelque chose flottait dans l'air, qui perturbait ma pleine adhésion à ce groupe disparate.
Durant la préparation de la campagne il y a eu quelques frictions avec les revanchards. Sans eux, par ailleurs les plus motivés, nous aurions vraiment pu aller vers quelque chose de novateur et constructif. Il y a une quinzaine de jours, lassé des vieilles querelles et rancunes, j'avais pris la parole pour orienter résolument notre campagne dans le sens du positivisme et des idées qui donnent envie d'avancer. J'avais mis en avant ce qui nous avait chacun motivés à nous lancer, laissant de côté la logique d'opposition à "l'autre liste". Bref, penser "pour" plutôt que "contre". Plusieurs personnes m'avaient suivi dans cet élan. Mais dès le lendemain d'autres voix s'étaient élevées en disant qu'en étant trop gentils nous allions droit à la catastrophe. Dèjà il ne croyaient plus notre "victoire" possible et que "les autres" ne se priveraient pas d'utiliser n'importe quel moyen pour nous battre.
"Les autres"... ces vilains manipulateurs...
Je me suis dit que j'étais sans doute assez candide et qu'il fallait peut-être, effectivement, adopter une posture un peu plus offensive. Les sourires sont revenus parmi les grincheux et l'équipe semblait avoir trouvé une certaine cohésion. J'ai certainement eu une part dans notre élection puisque, avec un petit comité, je retravaillais les textes pour les rendre plus pertinents. J'ai ainsi été l'artisan d'une voie de compromis : choix des formules percutantes, à la fois positives et mettant en cause l'incompétence (réelle ou supposée ?) de l'équipe sortante. Toutefois, en mon for intérieur, j'aurais préféré que certains d'entre nous ne soient pas élus... et que quelques uns de nos "adversaires" le soient. J'estime que nous avons été élus avec une trop forte majorité.
J'ai été mal à l'aise de faire partie de cette bande lorsque j'ai constaté que mes co-listiers élus entendaient battre totalement la liste adverse de façon à en éliminer la moindre trace parmi nous : il fallait que notre liste entière soit élue. Qu'aucun des autres ne puisse se joindre à nous. Comme s'ils incarnaient le diable !
Beurk ! J'aime pas cet esprit...
Alors, quand j'ai appris la manigance, j'ai pensé à deux éventualités : la dévoiler publiquement avant le decond tour ou... démissionner à peine élu.
La première solution était très simple puisque c'est moi qui m'occupe du site internet. Hé hé, ça aurait fait du raffut dans le village ! Mais bon, en sabotant les plans de ceux avec qui j'étais élu je risquais fort de rendre l'ambiance future assez détestable. De plus ç'aurait été un abus de pouvoir que de me servir de cette tribune publique collective en mon nom personnel. Qu'en aurait-il été des possibilités ultérieures de travailler en équipe ? De toutes façons les initiés étaient en nombre supérieur que les ignorants...
La seconde option avait le gros désavantage d'être une fuite. En démissionnant j'aurais eu l'esprit tranquille et ma belle conscience pour moi... mais en même temps, en quittant le navire je laissais tomber ceux qui m'ont élu. De plus, je laissais libres les mains du manipulateur...
Cas de conscience, donc.
Quoi qu'il en soit j'ai manifesté très fermement ma colère et demandé des explications à l'instigateur de la manoeuvre. Je suis allé dire a ce très probable futur maire ce que je pensais de sa tromperie, envoyant un mail collectif aux autres membres de la liste. D'autres ayant aussi exprimé leur mécontement, l'effet immédiat aura été de provoquer une réunion de mise au point. Un tour de table a permis à chacun de faire part de son avis et de clarifier la situation. Plusieurs étaient très mécontents et se sont inquiétés des réactions des villageois quand ils apprendront le nom du maire. J'ai toutefois fini par me ranger à une évidence : il est important que nous restions unis. Nous allons quand même devoir travailler six ans ensemble...
Le manipulateur à tenté de s'en tirer pitoyablement en disant qu'il n'avait pas pensé à préciser à chacun les enjeux secrets... et qu'il n'avait pas eu le temps... et que la tête de liste avait été choisie par ordre alphabétique, et parce qu'il était le doyen... Bref : n'importe quoi. Un gamin pris les doigts dans la confiture et qui dit que c'est pas de sa faute.
J'ai désormais une capacité de lecture dans le langage du corps pour percevoir qu'il n'était pas à l'aise. Je l'ai vu déstabilisé, perdant son éloquence alambiquée, laissant échapper des phrases brutes très significatives. J'ai enfoncé le clou entre le prenant entre quatre zyeux, lui montrant que je n'étais pas dupe.
Cet homme est un politicard, habile parleur qui sait très bien noyer ce qui le dérange en faisant diversion. Je me méfiais de lui, maintenant je sais qui il est. J'ai compris clairement qu'il avait d'autres ambitions, à un niveau politique plus élévé. Pas forcément pour des avantages personnels (être maire n'est pas une place enviable, question tranquillité), mais parce que c'est sa conception de la fonction d'élu : être bien placé dans les instances supérieures pour que la commune bénéficie de tous les avantages possibles. Sans oublier que l'édile en bénéficie indirectement grâce au statut qu'il tire de la notoriété de sa commune. Certains ont besoin de ça...
Il va me falloir à mon tour tenter de manoeuvrer de l'intérieur, en m'alliant avec d'autres, pour débusquer les plans douteux et les contrer. La clarté ne viendra pas du côté des habitués à la fonction d'élu. A moi de jouer, à ma mesure, un rôle de contre-pouvoir au sein de l'équipe municipale.
Ce qui est certain c'est que notre manipulateur et son acolyte auront constaté qu'ils n'avaient pas avec eux une bande de béni-oui-oui. Finalement cette tentative de leur part nous aura permis d'être vigilants avant même que le conseil municipal ne soit mis en place. J'ai bien insisté sur le fait que ce qui était dissimulé, non-dit, finissait toujours par générer un trouble. Si notre équipe s'est trouvée désunie ce n'est pas parce que nous exprimons un désaccord, mais bien parce que nous avons été tenus à l'écart de certains éléments.
Confirmation, si besoin était, que le non-dit finit toujours par gangréner les relations, quel qu'en soit le type.
Je sens que je n'ai pas fini de rigoler avec cette bande hétéroclite...
(Ces péripéties éléctorales m'ont maintenu à l'écart de la blogosphère. J'espère que cela n'augure pas d'une désaffection trop marquée, faute de disponibilité...)