Boucler la boucle
1973 J'ai choisi de m'orienter vers la relation d'aide sans bien savoir pourquoi j'étais attiré dans cette direction, mais je constate peu à peu que c'est surtout en pensant à l'aspect psycho-affectif des relations. Et si j'ai envie d'accompagner des couples en difficulté c'est parce que je sais que se rejoue dans ce type de relations, parfois intensément, ce qui s'est construit dans l'enfance et l'adolescence.
J'ai douze ans et je suis en échec scolaire marqué. Ma mère, inquiète, m'amène chez Mr S., psychologue dans le souci de me sortir de cette impasse. Il me fait passer des test, m'amène à dire ce que je vois sur des taches d'encre, me pose des questions, me fait raconter ma vie, mes rêves. Je me souviens très bien de l'entretien avec ce monsieur, qui se trouvait être le mari de celle qui me donnait des cours de dessin. Ce qu'on m'en dira, à l'époque, c'est que je souffre d'un "blocage psychologique". Autrement dit : ce n'est pas un problème d'incapacité à comprendre, mais bien quelque chose qui vient de moi. Ce qui me sera traduit en : « si tu le veux vraiment tu peux réussir ». D'une certaine façon je suis conduit à me sentir seul responsable de mon échec...
Maintenant je sais que le symptôme chez l'enfant devrait plutôt conduire le(s) parent(s) à se soigner. C'est d'ailleurs ce qui était induit dans l'avis que le psychologue avait transmis à mes parents, que j'ai pu lire des années plus tard. Je ne crois pas que mes parents aient vraiment adapté leur attitude en conséquence...
Avec le recul j'ai réalisé que ces années correspondaient à une déprime qui s'est prolongée tardivement dans mon adolescence, par ailleurs fort peu rebelle. Ado soumis et docile, gentil... qui a du trouver d'autres stratégies pour s'opposer. D'où cet échec scolaire "inexpliquable" réduisant à néant les ambitions paternelles. Le passage vers l'âge adulte a donc opéré de façon incomplète, et en particulier sur le plan affectif, donc relationnel. Ce qui signifie que, pour partie, mon psychisme est resté "enfantin". C'est un état incompatible avec l'état adulte et la vie se charge de mettre les choses à leur place tant qu'elles n'y sont pas. C'est ce qui a fort bien opéré chez moi, à partir de la quarantaine. Rattrapage tardif d'une adoescence inaboutie. Ça ne passe pas inaperçu pour l'entourage !
2008
Par un curieux hasard qui n'en est pas un je me retrouve à étudier le "développement psycho-affectif de l'adolescent" [tiens, tiens...]
La formation est très intéressante. Trop intéressante : on y parle notamment de l'échec scolaire. J'ai beaucoup de mal à me sortir d'une très forte résonnance avec mon passé. Ces ados dont il est question c'est moi ! On me parle de moi et chaque élément fait sens, confirme ce que j'ai déduit, explique et relie des éléments encore épars.
Durant cette session je me suis peu exprimé, trop pris dans mes ressentis. Je me suis senti en difficulté - selon le terme consacré - à plusieurs reprises, incapable de me mettre à distance. Bouffées de ressentis, de réminiscences, de clairvoyance. Passé et présent se sont téléscopés. Compréhension de beaucoup de mes attitudes récentes en matière de relations affectives. Mise en perspective, aussi, des attitudes de personnes avec qui j'ai été en relation. Qui peut se dire vraiment détaché de l'enfance ? Combien d'entre nous ne sont pas entièrement adultes ? Combien résistent à ce passage, à leur insu ?
Mais si j'ai ressenti aussi fortement les choses, c'est probablement parce que le psychologue qui nous transmettait son savoir sur l'adolescence n'était autre que... Mr S.
Trente-cinq ans plus tard je me retrouvais devant celui qui avait écouté l'ado renfermé que j'étais. Je ne suis pas allé me présenter, et il est probable qu'il ne se serait pas souvenu de moi. Mais je dois reconnaître que ça me faisait un drôle d'effet d'intervenir et échanger avec lui à titre professionnel au sujet des difficultés des adolescents. En quelque sorte c'était "boucler la boucle".
Ce qui confirme bien que ma démarche ne doit rien au hasard...