Ambivalence incertaine et aléatoire
« Il y a des non qui sont des oui. Je dis non parce que c'est oui... donc non ! »
Autrefois je n'aurais rien compris au sens de cette phrase, chef d'œuvre de contradiction. Maintenant c'est différent : ce qui me semble important n'est pas de chercher absolument à comprendre l'incompréhensible, mais de prendre acte de la contradiction.
Celle qui a prononcé ce Non s'est empêchée de dire le Oui qu'elle désirait et redoutait. Un Oui qui aurait ouvert la porte vers l'inconnu inquiétant, tandis que le Non, quoique frustrant, permettait de rester dans le contrôle de la situation. Raison contre passion. Ici la raison l'a emporté... de justesse. Il est rare que la contradiction soit aussi clairement énoncée. Habituellement le Non n'est pas nuancé, afin de ne pas laisser de faille visible dans le blindage.
Ce Non, c'est celui que ma collègue Artémis a opposé tardivement à une soirée barbecue collective prévue de longue date. Probablement moins pour la soirée, qui ne l'attirait pas particulièrement, que pour la proposition que je lui avais faite de l'héberger chez moi pour la nuit. Avec tout ce que ça ouvrait comme possibilités... D'où son ambivalence, à l'image du rapport contrasté qu'elle entretient avec moi.
« Non, parce que oui... »
Un peu comme ce jour où elle m'avait fait part de ses désirs de rapprochement, tout en me demandant expressément de la retenir. Vous avez dit contradictions ?
J'ai l'impression qu'elle attend de moi que je fasse preuve d'une assurance qui lui permettrait de se laisser aller, tout en refusant absolument de se sentir en état de vulnérabilité. Ainsi elle me reproche régulièrement ma souplesse et mon adaptabilité, qu'elle décrit comme une inconsistance, voire une fuite facile, tout en estimant être elle-même trop impulsive et tranchée. Elle apprécie chez moi ce qu'à d'autres moments elle critique. Nous avons quelque chose de contraire.
L'anecdote n'en est pas restée là : il y a eu une suite à l'éphémère certitude de ses décisions. Après avoir dit non, elle a fini par dire oui... mais oublia ses affaires chez elle. Acte manqué qui lui donna une excellente raison pour annuler sa décision tardive. Sauf qu'une heure avant le rendez-vous Artémis annonça que, finalement, elle viendrait. Ce qu'elle fît. Mais dans la soirée, ultime rebondissement, elle est partie prématurément chez elle, sans préavis, effectuant le long trajet qui, précisément, lui avait servi la veille d'alibi pour dire Non ! Cette alternance instable a modulé tour à tour ma satisfaction et ma frustration, quoique je sentais bien que rien ne devait être considéré comme acquis. J'ai quand même été assez surpris et décontenancé par l'ultime volte-face. Artémis m'expliqua le lendemain qu'avec elle tout pouvait changer à chaque instant. Ça, oui, je l'avais déjà constaté à plusieurs reprises puisque mes diverses invitations ont été maintes fois ajournées. Une attitude aussi "libre" nécessite de la part de ceux qui sont à son contact une grande capacité d'adaptation... celle-là même qu'elle me reproche à d'autres moments.
Un tel comportement, qui devient prévisible dans son imprévisibilité, est quand même assez agaçant. Je ne sais jamais à quoi m'en tenir avec elle puisque toute éventualité est soumise à une forte probabilité d'annulation. Elle peut aussi bien chercher à me parler que fuir dans le silence. Du coup je n'investis rien qui ne puisse être désinvesti sans dommages. En fait je continue à m'adapter parce que j'apprends beaucoup de son attitude désinvolte, moi qui suis étais tellement scrupuleux. J'éprouve même une satisfaction à "tenir" face à ce qui, autrefois, m'aurait beaucoup perturbé.
Ne pas trop attendre d'autrui, éviter de me projeter vers ce qui ne dépend pas que de moi afin de ne pas être trop frustré. Tenir tête, tenter l'indifférence, ne pas rester disponible, faire part de mes constats et observations... voila tout ce que j'apprends avec cette femme, tellement différente de ce que je suis.