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Alter et ego (Carnet)
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16 février 2022

Détermination

Sait-on jamais ce qui nous anime ?

J'ai connu Solange il y a une douzaine d'année, quand elle fut recrutée chez le même employeur que moi. Jolie jeune femme, très dynamique et souriante, j'ai découvert sa personnalité au fil du temps. Je l'ai vue évoluer, s'affirmer, prendre des responsabilités, monter des projets. Sa détermination, son assurance, son élégance, faisaient mon admiration. Très enjouée, toujours de bonne humeur, son rire sonore et contagieux, tel une signature vocale, attestait de sa présence dans les parages. Solange était appréciée tant pour sa personnalité toujours positive que pour ses compétences professionnelles. Elle avait cependant fini par se sentir un peu à l'étroit à son poste, aurait aimé un peu plus de responsabilité et reconnaissance pour le dynamisme qu'elle mettait au service de notre employeur commun.

L'automne dernier elle a annoncé son départ, certaine d'avoir trouvé ailleurs de quoi s'épanouir. Bien que j'en fus un peu attristé, j'estimais qu'elle faisait un bon choix : suivre son envie ; se donner les moyens de ses ambitions. J'aimais bien Solange et, si j'avais eu les faveurs de son regard, peut-être n'y aurais-je pas résisté. Au moment de la quitter, lors de son pot de départ, dans un geste d'affection un peu malhabile, j'ai mis mes mains sur ses hanches... parce qu'il me paraissait incongru de la prendre dans mes bras.

Solange partie, son rire n'a plus retenti. Au début ce silence se remarquait, et puis on s'est habitués. De loin en loin j'ai eu de ses nouvelles de la part de collègues qui avaient gardé un lien étroit avec elle. C'est ainsi que j'ai su qu'assez rapidement Solange avait regretté son départ. Chez son nouvel employeur l'ambiance était pesante. Je n'en savais guère plus, n'ayant pas cherché à garder de lien avec elle - je ne m'attache plus aux gens qui partent. S'il nous était arrivé de partager quelques impromptus de conversation, tous les deux seuls en fin de journée, nous n'avions jamais été significativement proches. Disons qu'il y avait entre nous une aimable confiance et une appréciation mutuelle.

Lundi, j'apprends incidemment que Solange a décidé de revenir chez nous ! Super ! Je suis vraiment content de la savoir de retour, tant pour la perspective de renouer avec sa jovialité communicative que parce que cela lui permet de retrouver un meilleur équilibre professionnel. Car dans la foulée j'apprends qu'elle aura de nouvelles fonctions, avec des responsabilité à sa mesure. Des tractations ont eu lieu depuis quelques jours et l'équipe de direction comme ses anciens collègues se réjouissent de ce retour. Ce sera en avril.

Joie de courte durée.

Ce même lundi, tard dans la soirée, Solange a renoncé. À tout.
Elle a mis fin a ses jours.

 

Nous l'avons appris le lendemain matin. Stupéfaits. Sidérés. Incrédules.
Solange ? Mais ce n'est pas possible ! Pas elle ! Pas quelqu'un d'aussi joyeux et solide qu'elle !

Mon cerveau ne parvenait pas à enregistrer l'incroyable choc de cette tragédie. Comme un mécanisme déréglé qui bloque et débloque en continu, avant-arrière, sans parvenir à aller dans le seul sens possible : accepter le réel. L'inacceptable réalité.

Au fur et à mesure que la sinistre nouvelle se propageait parmi nous, les visages blêmissaient. 

Murmures et conciliabules. L'une avait été avec elle au restaurant trois jours avant, pour préparer ce retour. Tout allait bien et le projet s'élaborait avec enthousiasme. Une autre l'avait eue au téléphone quelques heures seulement avant l'acte fatal : bonne humeur et rire habituels. Pas le moindre signe, au contraire, puisque là encore il était question des préparatifs au retour prochain.

Chez son employeur actuel aucune alerte non plus. Elle a quitté le bureau en fin de journée, avec ses collègues.

Incompréhension. Qu'est-ce qui peut pousser une personne avec cette force de caractère, mettant en oeuvre activement un projet qui l'enthousiasmait, à décider de se placer sur la trajectoire d'un train ? Choix radical et sans échappatoire. Déterminé. Désespérement courageux.


Ses failles, personne ne les a perçues. Son énergie bouillonnante et son rire tellement expressif n'étaient-ils pas une façon de conjurer une détresse totalement dissimulée ? Elle a choisi d'y mettre un terme seule, sans prévenir personne, sans demander d'aide. Elle a juste laissé un mot dans sa voiture.

Depuis peu jeune grand-mère et enchantée de l'être, elle adorait ses filles.

Sait-on jamais ce qui nous anime ?

Commentaires
C
Oui c'est vraiment incompréhensible. <br /> <br /> Un peu comme si tu apprenais tout à coup que je me sois jetée sous un train. Je me suis tellement identifiée à Solange au début de ton récit. Rire, optimisme, volonté, joie de vivre...<br /> <br /> Ça m'a mis des frissons, cette histoire.<br /> <br /> Je ne puis que t'assurer de mon empathique sollicitude devant ce drame inexplicable.<br /> <br /> Je t'embrasse<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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P
Elle est terrible ton histoire Pierre. <br /> <br /> Terrible pour Solange, mais terrible aussi pour ses proches, pour l'amie avec qui elle a déjeuné 3 jours avant, celle qu'elle a eu au téléphone la veille, et tous ceux qui l'ont côtoyée peu avant. <br /> <br /> Toute leur vie ils vont culpabiliser et se dire qu'ils n'ont pas su voir, pas su écouter, et qu'ils auraient dû faire ceci ou cela... <br /> <br /> Et puis triste pour toi et tous ceux qui n'entendront plus son rire...
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C
Ah Pierre, j'en ai les larmes aux yeux pour cette personne au rire si communicatif dont tu nous avais déjà parlé subrepticement il y a longtemps maintenant. Je t'avais taquiné alors. <br /> <br /> Que sait-on vraiment des autres? et surtout que voulons nous laisser paraître aux autres? où est la réalité vraie? cacher un tel désespoir me fait peur... <br /> <br /> j'ai connu l'an passé une disparition du même genre d'un être jeune au large sourire qui ne laissait rien paraître, j'en suis tombée sur le c-l à l'annonce.<br /> <br /> Ce geste, au delà de la douleur pour ses proches et amis, nous amène à la réflexion sur la société actuelle du paraître sur l'être, de l'individualisme et de la solitude croissants, une évolution qui tous les jours montre ses aspects terrifiants.<br /> <br /> Au fond, nous ne sommes que des petites choses à la vie bien brève, bon courage Pierre, rappelle toi longtemps ce rire sonore de la vie...
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F
Nous pensons connaître les gens mais non, car nous ne pouvons pas pénétrer au coeur de leur âme. Celle de Solange devait être blessée (à mort) pour qu'elle en arrive à ce geste désespéré sans possibilité de retour. C'est triste et l'on se sent bien impuissant devant un tel acte. Courage à sa famille et à ses proches.
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D
Bonjour Pierre. Parfois, ce sont les personnes les plus joyeuses, les plus vives qui savent le mieux cacher leurs blessures intérieures. Cette histoire est triste, triste pour toutes les personnes qui restent et qui ne comprennent pas. Il reste pourtant de lumineux souvenirs et peut-être que Solange voulait que ce soit cela qui lui succède. Bises alpines.
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J
Oui, il faut un sacré courage pour mettre fin à ses jours. Mais pour les proches outre la douleur, ça doit être inacceptable une telle abomination, certains vont peut-être se sentir "trahis". Une longue maladie incurable pourrait "justifier" un tel acte, autrement la famille vont probablement s'interroger à vie sur cette triste résolution... pauvre Solange, quel gâchis :(<br /> <br /> Pensées lumineuses, Pierre ; condoléances et courage pour la famille.
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