Quittons-nous ensemble
Tout à l'heure je discutais avec une amie proche qui a décidé de se séparer de son mari. Pour des raisons qui lui sont propres elle ne l'a pas clairement annoncé, préférant mettre, le jour venu, son conjoint devant le fait accompli. Elle entretient ainsi un certain flou, tout en déplorant l'attitude du mari qui se comporte mal avec elle.
Bien que considérant que dire la vérité au plus tôt serait la meilleure des choses je lui ai aussi suggéré de réfléchir auparavant à des situations de repli pour l'après-annonce. Parce que son mari pourrait bien réagir de façon assez virulente en constatant une situation qui lui sera alors imposée sans alternative.
J'ai proposé à mon amie de mettre en oeuvre une solution plus douce que l'annonce sèche et brutale. Cela pourrait consister à annoncer clairement que, devant une situation de couple ne lui convenant plus, elle a pris la décision ferme d'entreprendre une démarche auprès d'un professionnel pour voir comment agir. Le but avoué n'étant ni de rétablir le couple, ni de le séparer, mais en partant du constat que quelque chose ne va plus décider de la suite à donner. Outre le fait de ne pas se sentir subitement acculé dans une impasse, ce passage par un tiers expérimenté est une formule qui atténue l'effet de choc et les risques de conflit frontal (présence d'un tiers modérateur qui ne se laissera pas prendre dans des enjeux de pouvoir).
Faire un constat d'échec commun me semble infiniment préférable à une "fuite" individuelle laissant l'autre désemparé. Car se voir imposer une séparation brutale, comprenant par là qu'elle était déjà en gestation, en quelque sorte préméditée, mettra inévitablement face à un sentiment de tromperie. Et se sentir acculé peut déclencher une forte résistance, qui peut se traduire par un refus, blocage, et finalement décision de compliquer au maximum la mise en oeuvre du processus, aussi inéluctable soit-il. C'est comme ça qu'on en arrive à des conflits extrêmement violents, destructeurs, avec des oppositions farouches et définitives. C'est le prix qu'on fait payer à l'autre pour la souffrance ressentie.
Mon amie me dit alors qu'elle redoutait, devant un tiers, d'avoir à dire des choses trop difficiles à entendre pour le mari. À savoir qu'elle ne l'aime plus depuis très longtemps. Je lui ai répondu qu'au contraire poser des mots sur une réalité permettait d'en donner le sens. C'est fournir une clé de compréhension, indispensable pour accepter ce qui, sans cela, sera inacceptable. Faut de clé, en voulant "protéger" son mari, elle le rend fou d'incompréhension. Actuellement il cherche, par tous les moyens, à comprendre ce qu'il pressent. Il peut à la fois être tendre et odieux, aimant et dénigrant, attentif et (faussement) indifférent. Il cherche quelque chose, sans savoir quoi, parce qu'il ne comprend pas ce qui n'est pas nommé.
Les mots peuvent être durs à entendre mais donnent le sens de ce qui se passe et ouvrent la porte pour la suite à donner. Vouloir "protéger" l'autre, c'est en fait une façon de se protéger soi : ne pas avoir à dire les mots qui vont faire mal. Ne pas se sentir "méchant" de faire souffrir l'autre. C'est ne pas le considérer comme un adulte, mais lui cacher la vérité comme on le fait avec les enfants lorsqu'on a peur de leurs réactions. Il n'en est que plus facile, devant les réactions de douleur du quitté (hostilité, tristesse, déprime, comportements agressifs, réactions de rejet, attachement exacerbé...) de déclarer qu'une telle personne est insupportable... et confirmer ainsi le choix de la séparation ! Ainsi, l'autre qui a été laissé dans l'ignorance (et n'a pas voulu voir...) devient "le méchant" parce qu'il a un comportement insupportable. Le quittant se voit ainsi blanchi de la culpabilité qu'il ressent, encouragé par l'entourage à quitter un être aussi abject. Oubliant que ces deux-là se sont aimés un jour, appréciés, mais n'ont simplement pas su rester en contact avec leurs sensibilités respectives.
Faire le constat commun d'un échec c'est aussi donner la chance à chacun de verbaliser tout ce qui n'avait pas été dit et empoisonnait la relation. C'est faire circuler des mots trop longtemps retenus. C'est prendre le temps de délier ce qui s'était mal noué... et se libérer mutuellement. Seule chance de voir évoluer la relation vers une amitié où la confiance demeure parce que personne ne se sera senti floué.