Si je ne devais retenir qu'un mot, pour cette année qui s'achève, ce serait celui d'Effondrement. Oui, avec une majuscule. Ce mot, vous l'avez forcément [non ?] lu ou entendu cette année. En quelques mois il est apparu partout dans les média. Mais peut-être n'y avez-vous pas prêté attention...
Remarquez, je n'en serais pas surpris : tant de gens semblent ne pas se rendre compte de ce qui est en jeu, malgré l'énormité de ce qui est constaté.
Effondrement de la biodiversité, des populations d'oiseaux, d'insectes, de poissons, de coraux. Destruction continue de forêts primaires, de zones humides. Bref : tout ce qu'on ne voit pas trop, qui est loin de nous. Cette année plus que les autres ? Oh non, pas plus. Comme d'habitude. Ce qui change ce n'est que le reliquat de nature, qui diminue jour après jour. Il y a de moins en moins d'espaces intacts.
Mais ça tout le monde le sait, plus ou moins. Et ça ne change pas grand chose de le savoir. Pas plus que de savoir que le climat est perturbé du fait de nos activités. Pas plus que de savoir que les ressources naturelles et énergétiques sont limitées. Tant que nous ne serons pas directement touchés, au coeur ou au portefeuille, nous ne réagirons pas. Du moins pas à la hauteur des enjeux. Nous ne comprenons pas que tout est interdépendant, systémique. C'est pourquoi l'effondrement de notre système (auto)destructeur est inévitable, n'en déplaise à ceux qui pensent qu'« il est encore temps ». D'aucuns considèrent même que cet effondrement est souhaitable, si on se place du côté du vivant non humain...
C'est les conséquences de cette fuite en avant que l'on nomme Effondrement, donc. Avec une majuscule. Un mot fort (trop fort ?) qui bouscule, qui dérange, qui suscite rejet, haussement d'épaules ou indifférence. Par crainte de ce qu'il sous-entend, sans doute. C'est vrai qu'il ne faudrait pas faire peur. Parce que la peur mobilise des réflexes de défense ou tétanise. Non : il faudrait donner envie ! Il faudrait ouvrir des perspectives. Il faudrait donner de l'espoir. Ben tiens... essayez un peu de donner de l'espoir quand il s'agit de renoncer à ce dont on rêvait : un mieux-être pour tous. Oui, c'est sûr, on a confondu mieux-être et mieux-avoir. Mais maintenant que ce mode de pensée est dans nos esprits il faut le décontaminer. Et ça ne va pas être simple.
Alors nous préférons « regarder ailleurs », selon la formule passée à la postérité en 1992. Nous reportons à plus tard les actions nécessaires. Mais ce n'est pas vraiment de notre fait : notre cerveau n'est pas adapté à ce genre de prise de conscience. On pourrait aussi dire que « ça dépasse notre entendement ». Réagir en prévoyant le long terme est tout simplement hors de notre portée. Sans compter sur des phénomènes complexes de notre psychologie qui font que, par mimétisme, nous ne réagissons que si les autres réagissent. Bref... nous sommes mal barrés.
Je ne vaux pas mieux que les autres : moi aussi en pleine dissonnance cognitive, je continue à vivre dans ce système insoutenable à long terme. Je continue de dépasser mon quota d'émissions de CO2. J'ai beau réduire, je dépasse encore. Me sens-je coupable ? Non, mais responsable. J'agis au mieux dans un contexte encore largement défavorable. Il y a trop d'inertie dans ce système. Trop de freins, trop de déni. Trop de tentation à continuer. C'est vrai qu'on en a bien profité... et qu'on voudrait faire durer le plaisir.
Voilà pourquoi l'Effondrement apparaît comme inévitable. Et ce n'est pas parce que je n'en ai plus parlé ici durant toute cette année que ce terme ne sera pas parvenu jusqu'à vous, d'une façon ou d'une autre :)
Pour moi il aura été la toile de fond de cette année 2018... qui n'en fut pas moins riche et épanouissante. Plus engagée, aussi. Avec une attention accrue envers l'instant présent, en particulier dans la nature, plus conscient encore que « rien n'est jamais acquis ».
Je nous souhaite de retrouver le sens de l'essentiel.
Maison de la Poésie, Paris, 18 novembre 2018
Quant à l'Effondrement... tu dis déjà tout, hélas très juste. Je n'y crois pas trop à un changement dans l'immédiat... il parait que les pays en développement consomment davantage d'énergies que les autres.
Merci Pierre pour ce fort rappel écologique, je vais y revenir. Espérant que ton souhait se réalise... je te voeux que du bien :) Passe une agréable soirée. Bise et à bientôt.