À la recherche de nourriture intellectuelle facile à ingurgiter il m'arrive [un peu trop] souvent de m'installer devant ma télé en quête de documentaires. Je ne trouve évidemment pas toujours de quoi me sustenter qualitativement mais c'est aussi une façon de voir ce qu'est le monde...
Hier soir le hasard m'a placé devant deux invités pour lesquels j'ai de l'estime : Pierre Rabhi et Matthieu Ricard. Le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, était le troisième invité de l'émission. Faisant abstraction de mes réticences quant à l'animateur, l'agaçant Franz-Olivier Giesbert, je me suis en revanche laissé séduire par ses trois charmantes comparses : Mazarine Pingeot, Géraldine Mulhmann et Eliette Abécassis. Le présentateur vanta d'ailleurs les mérites de ces trois dernières, agrégées de philosophie que les télés du monde entier nous envieraient.
Thème de la soirée : le bonheur est-il dans le pré ?
J'aurais dû me méfier de ce titre facile...
La parole de Pierre Rabhi, pétrie d'expérience et d'humilité, fut d'emblée sobre et limpide. Sa connaissances des équilibres écologiques et agriculturaux, sa perception du rapport de l'homme à la nature fait référence. Celle de Mathieu Ricard, qui vient de publier un "Plaidoyer pour les animaux" était pleine d'humanité, de respect et d'intelligence. Les deux hommes se sont exprimés en toute modestie, partageant simplement leur expérience personnelle et leur approche de la vie.
J'attendais des trois jeunes femmes chargées de les questionner qu'elles mettent leur intelligence au service des deux consciences éclairées qui leur faisaient face. Hélas... leur manque de connaissances se révéla rapidement flagrant, avec un formatage des idées montrant la distance qui les séparait du niveau de conscience de leurs deux interlocuteurs. Les assertions simplistes et éculées des intellectuelles montraient leur incapacité à se hisser à un autre paradigme, si bien que leur jeunesse, dont je m'imaginais qu'elle aurait pû être porteuse d'approches novatrices... me sembla finalement très solidement ancrée dans des modes de pensée rétrogrades. J'ai eu l'impression de voir trois ignorantes cherchant à mordre des rais de lumière.
Ces trois femmes, dans une consternante unanimité, plaçaient l'humanité au centre de leur préoccupations et regardaient avec une vague condescendance les neux "naïfs" qu'elles avaient en face d'elles. Deux illuminés faisant preuve d'angélisme, incapables de voir que « la nature est dangereuse » et qu'il faut donc s'en protéger ! Pour l'une d'elle l'homme est fondamentalement violent, ce qu'elle prouvait par un argument imparable « il n'y a qu'à regarder les cours de récréation ! ». Quelle piètre spectacle que de voir ces femmes intelligentes engoncées dans une vision figée des rapports de l'homme avec la planète, les animaux, la science...
Le Ministre, qui parfois s'est parfois montré ouvert à une autre forme d'agriculture, plus respectueuse de la biodiversité, s'est en revanche montré très péremptoire sur la cause animale. Pour lui l'affaire est entendue : l'animal reste au service de l'homme. Point. Et face aux 60 milliards d'animaux que l'on tue chaque année pour satisfaire les appétits carnassiers de l'humanité, il a cette répartie déconcertante : sans l'homme tous ces animaux n'auraient pas existé !
Un "argument" immédiatement repris par l'histrion Giesbert et brandi devant Mathieu Ricard « Ah, là le ministre marque un gros point, hein ?! Qu'en pensez-vous ? ». Aucune des trois femmes n'a bronché, montrant combien le discours du ministre s'accordait parfaitement avec le leur. Bravo pour l'impartialité du "débat"...
Ce qui m'a le plus déçu, et même attristé [déclenchant mon envie d'écrire ce billet], a été de voir que les trois représentantes de la "jeune" génération étaient encore à ce point archaïques dans leur représentation du monde. Surpris aussi de voir que les deux sages avaient une sensibilité et une douceur que l'on pourrait qualifier de "féminine" alors que les trois femmes, toutes séduisantes qu'elles soient, faisaient preuve d'une arrogance et d'une agressivité bien "masculine". Deux mondes se faisaient face à face : celui du passé, productiviste et humano-centré, qui considère que la nature est au service de l'homme et qu'il lui revient de la dominer; celui de l'avenir, qui a compris que l'avenir de l'homme s'inscrit dans un respect du milieu dont il est partie prenante.
À la fin de l'émission Pierre Rabhi, déconcerté par cette différence de plans de discussion, sembla se demander ce qu'il était venu faire dans cette rencontre.
Franz-Olivier Giesbert, lui, semblait ravi.
- L'émission est ici
Je ne comprends pas d'ailleurs ce besoin, chez lui, d'aller sur tous ces plateaux TV; il n'est plus un ouvrage consacré à la qualité de la vie qui ne fasse l'objet d'une préface du bon Pierre qui, je le déplore, et parce que j'ai aimé ce qu'il écrivit naguère, me semble être progressivement atteint du syndrome de l'Abbé Pierre : l'omniprésence médiatique de la bien-pensance. Tout est dans "la sobriété heureuse", rien dans dispute audiovisuelle.
C'est dommage.