Le temps ne recule pas
Quelques mots énigmatiques, en commentaire d'un de mes billets : « Il te faut juste ne pas oublier un principe fondamental : le temps ne recule pas ! ». Sans doute ces mots m'ont-ils d'autant plus interpellé qu'ils provenaient d'une personne qui, visiblement, m'a connu de près. J'ai instantanément pensé à une amie particulière dont je n'ai plus de nouvelles depuis des années*.
« Le temps ne recule pas ! ». Comment ai-je pu laisser croire, il y a longtemps, que je pouvais considérer autre chose que cette fatale évidence ? De quel passé pouvait bien provenir ce rappel qu'aujourd'hui je ne voudrais, en aucune façon, contredire ?
Petit retour en arrière : je pense être entré, depuis maintenant pas mal d'années, dans une forme de réalisme - voire de fatalisme - qui me fait considérer avec une grande certitude que ce qui est... est. Que ce qui advient ne doit rien au hasard. Que rien ne dure ni ne cesse sans une volonté [consciente ou pas] qu'il en soit ainsi. Bon, le "rien" serait sans doute à nuancer, comme tout ce qui est absolutiste, mais l'idée générale est là : ce qui est résulte de circonstances qu'il serait vain de remettre en question. Surtout pas à coup de « et s'il en avait été autrement ? ». Donc oui, assurément, le temps ne recule pas et, la plupart du temps, on ne peut pas "revenir en arrière". Cependant, si cela est vrai dans de nombreux domaines... ce ne l'est pas dans tous. Les pierres du Parthénon et des pyramides d'Egypte reviendront à la terre dont elles ont été extraites, tout comme la forêt à reconquis les anciennes cités Mayas. Par contre, il y aura toujours des traces de ce qui est advenu... même s'il y a "retour en arrière". On ne peut revenir à un état initial sans qu'il ne subsiste l'empreinte états antérieurs.
Notre planète en sait quelque chose.
Plus trivialement et à échelle de temps plus courte, on peut se fâcher avec quelqu'un puis, après explications, retrouver une bonne entente. Parfois même meilleure, plus confiante, plus authentique, plus équilibrée. D'une certaine façon il peut y avoir dégradation relationnelle temporaire et retour à un état semblable à "avant"... mais différemment. De la même façon on peut avoir vécu intensément une relation, la voir péricliter face à divers aléas, et revenir à un état proche de l'état antérieur : une vie sans l'autre. Sauf qu'entretemps l'autre a laissé une empreinte qui auparavant n'existait pas. Dans ces cas quelque chose a bien "reculé", mais assurément pas le temps. Je pense être très au clair avec cela.
Je pourrais aussi prendre l'exemple de la vieillesse : retour à un état de dépendance, de vulnérabilité. Recul des capacités d'autonomie, perte des facultés intellectuelles et physiques. Tout comme la graine germe dans l'humus, devient arbre, qui finit par mourir et retourner à l'état d'humus.
Accepter l'irréversibilité du temps, mais pas des faits ni des actes, fait partie du travail d'acceptation de la fin de toute chose.
Chacun doit apprendre cette leçon de vie pour accepter la perte. "Vivre c'est perdre". Tout perdre, jusqu'à la mort des siens, puis notre propre finitude.
Depuis quelques années, comme d'autres "conscients-lucides", je dois faire face à une autre perte. Peut-être encore plus profondément bouleversante. Plus vertigineuse, assurément. Une perte que je pourrais qualifier de "grand retour en arrière", quoique je ne sois pas certain qu'il n'y ait pas quelque chose à gagner dans ce "recul". Nous, héritiers de la culture occidentale, devons renoncer au mythe du "progrès", ou plus exactement au confort invraisemblable que nous avons obtenu à coup de destructions et pillages au détriment de la biodiversité et des hommes que nous exploitons et asservissons. Notre modèle de civilisation n'est pas durable. Notre société est mortelle... et nous allons la voir décliner.
Je crois que le travail d'acceptation que j'ai dû faire quant à l'irréversibilité de certaines situations relationnelles m'a en quelque sorte "préparé" à accepter l'inéluctable. Nous allons perdre ce que nous chérissons. Précisément parce que nous ne voulons pas y renoncer : notre liberté et nos servitudes. D'où ce "fatalisme" que j'ai mentionné plus haut. Ce qui n'empêche pas la lutte, mais sans croire ni rêver qu'elle puisse suffire. Ce qui est est. Ce qui advient ne résulte pas du hasard mais de nos choix.
* Le fait de ne plus avoir de nouvelles, ni d'en donner, résulte typiquement des non-hasards qui font qu'une relation s'étiole peu à peu... sans pour autant être un processus à jamais irréversible.
Je n'aurai jamais plus 18 ans...