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Alter et ego (Carnet)
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24 juin 2012

Impressions du Liban (1) - Beyrouth

Beyrouth. Une ville dont le nom m'évoquait le chaos, l'insécurité, la guerre. Je gardais en mémoire des images de combats de rues, d'immeubles troués et criblés de balles, de quartiers abandonnés aux avenues envahies par la végétation.

Beyrouth avait été pour moi, en 1975, le symbole d'un anachronisme : la guerre était encore possible. Elle pouvait m'être contemporaine alors que, du haut de mes quatorze ans, j'imaginais que les derniers conflits historiques avaient cessé avec le Vietnam. 

Beyrouth, aujourd'hui, n'est plus en guerre. Depuis 1990 le Liban n'est plus un pays en guerre (mais il a encore été bombardé en 2006). Il n'empêche qu'il n'est pas vraiment en paix : certaines zones sont à éviter, d'autres sont fortement déconseillées, voire interdites. C'est donc avec la conscience en alerte que je suis parti là-bas, rendre visite à mon fils qui réside depuis quelques mois dans la capitale. Sans sa présence je crois que je ne serais jamais allé au Pays des cèdres...

Arrivée de nuit, après le survol de la ville illuminée. Dans la voiture qui me conduit de l'aéroport vers le logement l'air chaud entre par la fenêtre ouverte. Yeux grand ouverts, je hume le proche-orient. Je lis des noms en arabe et en alphabet latin, que je reconnais immédiatement: Sabra, Chatila... Un frisson. Et puis rapidement je suis mis en contact avec les stigmates de la guerre : la façade déchiquetée d'un immeuble, sinistrement conforme à mes souvenirs, marque l'angle d'une rue sombre du quartier. Vision un peu effrayante, fascinante, qui me laisse songeur. Mais tout autour il y a les signes d'une activité normale, comme si la présence de cette silhouette vide était oubliée. J'allais constater plus tard, en parcourant la ville, que l'effacement des traces avait été efficace depuis deux décennies, à coup de restaurations et démolitions. Une frénésie de construction a envahi Beyrouth et ses faubourgs, et même bien au delà. 

 

J'ai beaucoup marché dans Beyrouth. J'apprécie cette façon d'entrer en contact avec une ville, de prendre la mesure de ses dimensions, d'en saisir l'esprit, et surtout d'intégrer une représentation mentale du schéma urbain. J'ai besoin de savoir à peu près où je suis pour me laisser aller au gré de mes envies. C'est ainsi que je vais à la découverte. En arpentant les rues, guidé par la curiosité, je rencontre l'inattendu. Beyrouth n'est pas une très belle ville, mais je l'ai trouvée attachante de par sa diversité et son histoire. Les contrastes y sont parfois forts, entre une modernité au luxe tapageur et l'indigence de certains quartiers. Ici les boutiques de marques prestigieuses dans des rues impeccables surveillées par des bataillons de vigiles, là les échoppes étroites venues d'un autre siècle ou s'entassent de maigres étals. Ailleurs c'est la cohorte des bâtiments sans caractère, mais animés par les tentures qui protègent du soleil ou par le linge qui sèche aux fenêtres. A l'heure de la prière le haut-parleur du muezzin résone entre les immeubles ou contre les églises, tandis que dans la rue déambulent des femmes voilées et en jeans. Plusieurs mondes coexistent, se croisent, mais se rencontrent sans doute peu. Ne serait-ce que pour des raisons religieuses ou culturelles. Chiites, Sunnites, Druzzes, Maronites... difficile de m'y retrouver. J'ai pourtant entendu, pendant des années, des journalistes tenter d'expliquer les particularités et antagonismes de chacun. Mais, parole de Libanais, « si tu as compris le Liban... c'est qu'on te l'as mal expliqué ! ».

 

IMGP3802

Cette image juxtaposant plusieurs espaces pourrait symboliser Beyrouth : une église ancienne fait face à une grande mosquée moderne (hors champ). À côté un chantier, visiblement commencé depuis longtemps, peine à s'achever au dessus de vestiges archéologiques plus ou moins laissés à l'abandon. Au fond commence le quartier des anciens souks, ou s'alignent aujourd'hui des boutiques de luxe sans âme dans des rues "à l'occidentale" parfaitement entretenues.

 

Tour

Palmiers, marbre blanc et grandes fontaines de granit au premier plan,
tour bombardée et inoccupée en arrière plan.

J'ai très peu photographié en ville. Je ne me sentais pas très à l'aise. D'une part parce qu'il n'y a pas vraiment de touristes visibles (donc pas de photographes), d'autre part parce que ce qui m'intéressait le plus était aussi le moins aisément photographiable : les quartiers les plus pittoresques sont aussi les plus modestes, pour ne pas dire pauvres. Je me voyais mal déballer mon matériel face à des gens aussi démunis. L'autre sujet "intéressant" aurait pu être ces immeubles encore porteurs des cicatrices de la guerre civile. Là encore je sentais que mon appareil photo aurait pu être mal accepté. Le seul cliché que j'ai tenté en ce sens m'a d'ailleurs valu une mise en garde sans équivoque de la part de vigiles : pas de photos !

IMGP3820

Une rue du très animé quartier arménien de Bourj Hammoud 
(j'ai attendu que celle-ci soit vide pour photographier)

 

IMGP3821

Un exemple de l'habitat urbain traditionnel, qui a été très endommagé
par la guerre civile et souvent démoli ultérieurement.

La présence militaire est forte en ville, nettement visible autour de points névralgiques. Véhicules blindés, sacs de sable, barbelés [photos interdites]. Mais aucune tension n'est palpable. C'est plutôt un état de veille. Plus loin des forces de police sont postées, dans la même ambiance un peu nonchalante. Mais les armes sont là.

Visiblement ce climat est habituel et ne perturbe aucunement la joyeuse exubérance du trafic automobile. Ici la cacophonie du klaxon est permanente dans une circulation névrotique où l'anarchie est la règle. Bizarrement ça fonctionne plutôt bien. Il suffit de prendre sa place... sans attendre qu'on vous l'accorde. D'ailleurs j'ai eu l'impression que ce mode de fonctionnement était largement généralisé. Valable pour l'automobiliste comme pour le piéton, il l'est aussi pour construire maisons ou immeubles. A tel point que toute la zone qui s'étend entre mer et montagne est colonisée par une urbanisation inconsidérée, visiblement sans aucune notion de ce qu'on pourrait appeler "le bien commun". Les terrains naturels sont éventrés par des routes et des terrassements surdimentionnés, apparemment sans souci de l'impact paysager. Envahi selon les envies de chacun, le littoral est souvent irrémédiablement défiguré, ce qui est fort dommageable et constituera sans doute un frein au développement du tourisme.

 

IMGP3557

La route de Damas, entre Beyrouth et la Bekaa,
en chantier perpétuel et bordée de bâtiments inachevés.

J'ai été surpris du nombre de bâtiments en construction... abandonnés avant d'avoir été terminés. Et beaucoup de ceux qui sont achevés, parfois assez luxueux, sont totalement ou partiellement vides. Il semble y avoir une frénésie de construire bien supérieure aux besoins. Par ailleurs subsistent de nombreux logements anciens et délabrés...

 

Contraste2

Contrastes : quelques mètres au dessus d'une grande artère
un panneau publicitaire côtoie une masure de parpaings couverte de tôles...

 

 (à suivre)

 

 PS : pour les messages qui m'ont été envoyés en privé, un petit délai de réponse est demandé. merci :)

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires
C
Quel intéressant billet ! Merci pour ce partage :))
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