Tracer la mémoire du présent
À l'unisson de la population française, je me suis mis en mode "vacances" : en août, je ne travaille que trois jours par semaine. Cela me permet d'augmenter notablement mon temps de liberté et, de là, d'ouvrir des espaces propices à la réflexion. Je renoue ainsi avec une pensée flottante, vers laquelle, par nature, je suis volontiers attiré. Ma vie habituelle ne laisse que peu de place à cette errance mentale.
Le temps libre me permet aussi de me livrer à des activités sans cesse repoussées. J'ai entrepris, par exemple, d'actualiser l'inventaire des arbres que j'ai plantés et vois grandir depuis près de trente ans. Approximativement un millier, peut-être davantage. S'agissant d'espèces peu communes, je suis le seul à pouvoir les identifier facilement. Il serait donc dommage de perdre ce savoir le jour où je ne pourrai plus le transmettre.
Ce faisant, j'anticipe les conséquences de ma disparition. Je fais aussi un pari sur l'avenir : supposer que lesdits arbres me survivent. Ce qui, auparavant, du fait de leur longévité naturelle, aurait tenu de l'évidence, n'est évidemment plus du tout certain. La grande sécheresse qui sévit actuellement dans tout le pays me le rappelle sans ménagement. Les conséquences du changement climatique deviennent clairement perceptibles. Il se pourrait donc que l'inventaire d'un patrimoine vivant devienne la future liste des disparus. Déjà certains arbres, pourtant vigoureux et prometteurs, n'ont pas résisté aux trois années sèches consécutives de 2018-2019-2020. Auparavant d'autres étaient morts durant l'épisode mémorable de 2003. Rayés de ma liste, j'en ai néanmoins conservé la trace. La sécheresse actuelle fera t-elle encore de nouvelles victimes ?
Cet inventaire je peux l'enrichir car je dispose des données concernant l'histoire de la plupart des arbres : l'origine des graines, l'année de germination, la date de plantation. Il me faut simplement - euphémisme - rapprocher des fichiers numériques distincts pour les mettre en concordance. Tâche fastidieuse et chronophage s'il en est, reportée depuis des années pour cette raison. En outre, pour quelques arbres singuliers, j'ai depuis plusieurs années effectué des mesures de croissance : diamètre du tronc et hauteur. Ainsi je pourrais, potentiellement, fournir une base d'observations assez complète... pour qui s'interesserait, éventuellement, à cette collection dendrologique (du grec "Dendron", "arbre").
Inventaire papier sur fond de feuilles sèches
Pourquoi m'astreindre à cette fastidieuse compilation de données ? Cela tient propablement de la même logique que l'écriture diaristique : faire oeuvre de mémoire. Relier dans une chronologie les constats du présent. Conserver la trace d'une évolution, d'un parcours. La photographie, en partie, joue aussi ce rôle mémoriel. Il en va de même pour les correspondances.
Voila le genre de travaux (in)utiles auxquels je peux me livrer lorsque je dispose de temps. Les idées de manquent pas et, l'âge de la retraite approchant, cela m'ouvre une belle perspective pour me consacrer à ce qui m'importe.
La retraite ? Ouais, j'y pense forcément. Mais j'hésite encore : m'y mettre dès que possible... ou continuer à travailler tant que je trouve satisfaction dans ce que je fais ? Indéniablement j'apprécie une partie de ma vie professionnelle, qui tient du défi continuel. Chargé de piloter une activité en croissance, mon rôle consiste à tenir la barre sous une double contrainte : sociale et économique. C'est stimulant, jamais ennuyeux. Par contre il manque une troisième contrainte - écologique - dont l'insuffisante prise en compte me frustre. Je ne sens pas autour de moi une dynamique à même de faire évoluer les choses en ce sens. Du moins pas assez rapidement et pas avec l'ampleur nécessaire. Cela rend mon investissement professionnel bancal.
Mais le milieu professionnel a un avantage : il me permet un travail collaboratif, donc relationnel. Il représente une grande part de ma vie sociale. C'est important, pour un solitaire comme moi, de bénéficier de telles interactions. Une fois retraité, je risque de me complaire dans la solitude et de me priver ainsi d'échanges. Certes, tant que je suis engagé dans la politique locale je serai encore amené à interagir...
Le temps dilaté dont je disposerai à la retraite, qui me donnera une liberté à laquelle j'aspire, me pose vaguement question : la vie en solo ne va t-elle pas manquer de partage ? Mais en fait cela ne m'inquiète pas vraiment : il sera toujours temps de m'ouvrir à de nouvelles explorations !
Si, toutefois, les conditions d'existence le permettent, mais ça c'est un autre sujet...
[pour l'occasion j'inaugure un nouveau "tag" : le mot "retraite"]