Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Alter et ego (Carnet)
Alter et ego (Carnet)
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
3 mai 2020

Du temps à soi

Voila 47 jours que je prends tous mes repas seul, que je passe mes soirées seul, mes week-end seul, mes nuits seul. En suis-je triste ou affligé ? Aucunement ! Je pourrais même dire que je me délecte de cette solitude, que nulle "bonne raison" ne m'oblige à rompre. J'ignore durant combien de temps je pourrai tenir à ce régime avant de ressentir un manque mais je me sens encore loin de cette échéance.

Je sais que je ne suis pas seul dans ce cas, à retrouver le plaisir du temps à soi. A contrario je sais aussi que pour d'autres le confinement n'a rien d'un plaisir, malheureusement. Inégalités sociologiques et différences psychologiques.

Je fais partie de ceux qui se réjouissent du confinement et le mettent à profit pour vivre autrement, plus en accord avec leurs aspirations. À tel point que la prolongation de ce temps offert a enclenché une réflexion latente : et si je ne reprenais pas la "vie d'avant" ? Cette question se pose à l'échelle de la société - du moins dans une partie de la société française - avec une incitation à profiter de ce temps de fort ralentissement, de cette mise en suspens... pour ne pas reprendre la course suicidaire de l'humanité. C'est comme si l'on sentait confusément et communément qu'il y avait là un moment opportun, un kairos.

Bien que confiné je n'ai pas cessé de travailler, pouvant me livrer à cette occupation à distance grâce à la technologie numérique. Mais je l'ai fait autrement. À mon rythme. En pouvant m'en extraire à ma guise pour profiter de la nature qui m'entoure. Et c'est bien ce qui change tout : je peux me relier directement à ce qui me procure satisfaction et joie. Je peux instantanément aller écouter le chant d'un oiseau, exposer mon visage au soleil ou humer une brise parfumée. Je peux aller me promener quelques minutes dans la forêt qui jouxte ma maison, le temps d'une pause bénéfique. J'ai cette chance, que dis-je, cet inestimable privilège d'être relié à l'essentiel.

L'essentiel ? Mais les liens humains, alors, qu'en fais-tu ?

Eh bien, par un étonnant paradoxe, je reste très relié aux autres. Intellectuellement relié. Le numérique permet de pallier à la distance. Je n'avais jamais fait autant de réunions Zoom (visioconférence), que ce soit pour le travail, pour avancer dans des projets citoyens, pour suivre des webinaires... En fait je vois beaucoup de gens dans mes journées de solitude. Des gens que je connais et avec qui je peux parler. Je peux aussi écouter ou lire les pensées des autres. Bref, échanger, partager, me nourrir l'esprit. Tout comme "avant", si ce n'est davantage. Jamais seul, avec internet, écrivais-je jadis.

Oui mais... la présence, Pierre, la présence ! Le numérique ne peut pas remplacer la présence physique !

Non, il ne le peut pas. Mais depuis combien d'années ai-je "apprivoisé" ce mode de relation à distance ? Plus de vingt ans ! Je n'irai pas jusqu'à dire que j'en ai fait un art de vivre mais tout au moins ai-je trouvé une sorte d'équilibre dans l'alternance entre échanges à distance et échanges en présence. Cela m'est confortable. Ce sont deux mondes relationnels qui s'interpénètrent tout en gardant leurs particularités. Je passe de l'un à l'autre sans difficulté. Comme la plupart des gens, je suppose. 

Mais comment se fait-il que la présence physique ne te manque pas ?

Je pourrais me contenter de dire « c'est comme ça », mais j'aime bien comprendre le sens des choses (ou croire le comprendre...). Peut-être que la présence physique ne me manque pas parce qu'en temps "normal" cela m'est souvent inconfortable d'être corporellement présent. Un peu comme si mon être physique constituait une enveloppe gênante autour de mon être intérieur. Être là, exister en présence d'autrui, pour moi ne va pas de soi. C'est potentiellement une épreuve. Un stress.

C'est bizarre d'écrire ça. Et pas toujours vrai.

J'ai l'impression que pour supprimer ce stress j'ai besoin de me sentir totalement accepté. Le mot de "confiance" me vient en tête, comme bien souvent lorsque j'analyse mon rapport aux autres. Je me demande qu'elle blessure de confiance je traîne ainsi depuis... tellement longtemps.

Bref : me retrouver seul avec moi-même me "libère" donc de l'épreuve qui consiste à être en présence d'autrui. Seul, je me sens libre d'être moi-même. Et confiné c'est encore mieux : je sais que je suis seul pour longtemps et que personne ne viendra troubler cette bienheureuse et tranquille solitude.

Et pourtant... je sais bien que, d'un autre côté, c'est en présence d'autrui que je peux ressentir de purs moments de joie et d'émotion contenue. Des moments qui peuvent être aussi intense que ceux que je ressens en pleine solitude devant des paysages sauvages. Les joies simples que je vis dans mon quotidien solitaire n'atteindront jamais de comparables sommets. Sauf que ces sommets sont rares, demandent des circonstances exceptionnelles et, sans aucun doute, une part de mise à l'épreuve, de dépassement. Peut-être tiennent-ils leur intensité du dépassement, d'ailleurs ? Avoir eu le courage d'oser... et avoir rencontré la félicité [qui c'est celle-là ?].

Mais le temps de solitude qui se prolonge me permet aussi de m'investir sans compter dans des causes qu'il me semble absolument nécessaire de défendre. Je dispose ainsi de toute latitude pour me consacrer à ce qui me tient à coeur, y passer mes soirées ou des journées entières. Agir pour ses idées, se mettre en congruence, n'est-ce pas "être vivant" ?

D'un autre côté... je sens bien qu'être seul à porter une action ne me convient pas. Je n'y déploie pas vraiment mes ailes et pourrais m'y épuiser. Je ne me suis jamais senti aussi enthousiaste et volontaire que dans la solidarité d'actions communes. Seul, il m'est bien plus difficile d'avoir le courage d'oser...

Je crois... [je crains] d'avoir un besoin inextinguible de me sentir estimé. Mon attrait pour une solitude-refuge n'est peut-être qu'une façon de me soustraire à ce besoin, en me recentrant sur mes capacités à vivre de manière relativement autonome. J'ai souvent clamé n'avoir désormais besoin de personne en particulier, mais des autres en général. Je me demande dans quelle mesure ce ne serait pas une adaptation au contexte dans lequel les aléas de l'existence m'ont placé. Ce qui, en soi, est plutôt une bonne chose : je me satisfais de ce que la vie me propose.

 

[Ce billet un peu trop personnel va un peu dans tous les sens. J'ai tenté de relier des idées éparses... et je constate leurs dynamiques contraires.]

 

Commentaires
C
Bonjour Pierre,<br /> <br /> je viens de lire tes posts confinés. Début mars, je note tes interrogations puis ça évolue doucement par un espoir (secret?) que la crise liée au virus fasse exploser nos modes de société consumériste. Et enfin, ce billet sur la solitude bien vécue apparemment. Je dis bien apparemment...Il y a eu tant de mots posés sur ton blog pour dire que tu chérissais être seul avec toi-même que ça en devient troublant ^^.<br /> <br /> <br /> <br /> Comme pour nous convaincre que c'est la bonne voie pour toi et finalement te convaincre par ce biais aussi. Nous voulons bien te croire sur paroles, vraiment.<br /> <br /> <br /> <br /> Néanmoins, car il y a un néanmoins, ;) , ce que tu décris à ta manière selon tes circonstances semble être le devenir (je dirais le travers) de l'évolution sociétale vers laquelle nous allons.<br /> <br /> <br /> <br /> D'ailleurs, le moment s'y prête : distanciation sociale, distance de sécurité, plus d'embrassade, télétravail, diminution drastique des contacts physiques...Est ce cela que nous souhaitons pour le bonheur de tous? Un monde en quelque sorte basé sur le chacun chez soi et une intrusion toujours plus grande du numérique?<br /> <br /> <br /> <br /> Je n'ai pas vécu de confinement car mon métier dans l'accompagnement a été au coeur de la crise et de la tension. <br /> <br /> Cependant, face à cet incroyable moment que nous venons de passer, je m'interroge moi aussi.<br /> <br /> <br /> <br /> Je vis seule comme tu le sais, je trouve des aspects positifs à cette situation, liberté, indépendance mais le côté négatif pèse aussi.<br /> <br /> Ca manque cruellement d'amour pour l'autre et de l'autre, de partage, de contacts. Oui voilà c'est dit, de contacts! physiques j'entends ( pas forcément sexuels j'aime mieux préciser, quoi que^^)...parce que les contacts numériques, y en a plus qu'il n'en faut, trop même. La nature n'aime pas le vide. <br /> <br /> <br /> <br /> Nous vivons dans une société où tout va très vite, l'information bonne ou mauvaise circule à toute vitesse, il aura fallu un virus et des milliers de morts pour ralentir un peu cette course effrénée dans le mur. Stupéfaits, le gens se sont confinés, peur pour leurs vies, là tout de suite après avoir stocké des pates et du pq (qd même on sait jamais si ça tournait à the walking dead et la fin du monde). <br /> <br /> <br /> <br /> On vient leurs dire qu'ils pouvaient reprendre comme si de rien n'était et c'est reparti pour la course folle. <br /> <br /> Qu'en est-il de la pollution? de la dégradation des écosystèmes? de la disparition d'espèces? de la consommation abusée des ressources? et du virus même? tout ce qui ne se voit pas au pas de "notre" porte, "on" s'en fout! même après une crise inédite comme celle-ci. <br /> <br /> <br /> <br /> C'est le sentiment que j'ai...Je jette mon masque dans la nature ou sur le trottoir et à moi la liberté retrouvée de passer mon temps sur mon téléphone, sur des réseaux sociaux qui n'ont de sociaux que de nom. Plus de contact, ok, tant que je tweete , tant que je bosse par écran interposé, tant que je reste hypnotisé par un écran quelconque...anecdotes, vacances racontées sur FB ou insta, faire comme les autres, tout passe par l'oeil numérique.<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai regardé, aiguillée par un tweeter, la série Black Mirror. Ce n'est pas toujours transcendant mais elle dépeint une société numérique envahissante qui fait froid dans le dos. Nous y sommes presque hélas.<br /> <br /> <br /> <br /> Cette société numérisée et libérale à tout crin ne m'intéresse pas . Je ne crois pas qu'elle soit l'avenir éclairée dont nous avons tous besoin, dont les générations futures auront besoin. <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai mal à l'avenir pour tout te dire. Ca me fait peur. Cette course dans le mur m'effraye.<br /> <br /> <br /> <br /> Assez peu pour moi à vrai dire (je fais partie des "vieilles") mais pour nos enfants, les enfants de nos enfants, ils trouvent déjà normal cette société aseptisée, compétitive, individualiste, formatée.<br /> <br /> Que leurs laissons nous?<br /> <br /> <br /> <br /> Ce grand chapitre pour dire que la solitude chérie je m'en méfie donc. Il ne faudrait pas laisser les coeurs s'assécher, se dessécher au point de ne plus ressentir la joie de l'autre, ses différences, ses petits moments où l'on doit s'adapter parce que c'est lui ou elle qu'on aime. Justement se découvrir tel qu'on est, avec des défauts mais aussi et surtout des qualités. C'est ce qui fait de nous des êtres humains de chair et d'os, avec des émotions, sensibles, cons parfois. Faire confiance . <br /> <br /> <br /> <br /> Je termine là dessus par ce mot. Confiance aux autres, confiance à soi. <br /> <br /> <br /> <br /> Confiance, c'est un beau mot à méditer?
Répondre
M
Bonjour Pierre,<br /> <br /> Un texte qui parle de toi, du ressenti. J'ai bien aimé questions - réponses. <br /> <br /> Dans ta réponse à Célestine le "itou" m'a ramené en arrière.<br /> <br /> Dans le "parler" québéçois que tu connais le itou est bien présent.<br /> <br /> Le moé itou je le disais avant maintenant pour le mieux paraître je dis moi aussi.<br /> <br /> Mais pour rien te cacher le moé itou fait plus partie de moi et bien d'autres mots jugés inadmissibles par la langue française. Mais en fait, il est vrai que l'on parle mal la langue et qu'on la malmène.<br /> <br /> Au plaisir!
Répondre
J
"cela m'est souvent inconfortable d'être corporellement présent. Un peu comme si mon être physique constituait une enveloppe gênante autour de mon être intérieur"<br /> <br /> Doux Pierre, c'est un crève-coeur de lire ces mots si forts. Apres relecture je comprends mieux ton bien-être solitaire. Allez, je ne t'embête plus.<br /> <br /> Bonne journée.<br /> <br /> :)
Répondre
C
J'aime beaucoup la couleur de ton billet. Sans doute parce que je t'y retrouve davantage tel que j'ai appris à te connaître et à t'estimer. Oui estimer est un bien joli mot, moins encombrant qu'aimer, il veut pourtant exprimer un sentiment fort, fait d'admiration, d'émotion et d'amitié. De confiance aussi...<br /> <br /> Bref, que tu nous parles un peu de toi, de ta façon de vivre le confinement, j'ai bien aimé. C'était disons...un peu plus personnel que d'habitude, un peu plus intimiste...<br /> <br /> Quant au manque, celui que j'éprouve de temps en temps pour certains êtres chers, en écrivant mon billet je me suis dit que ça pourrait ressembler (de loin et vu à travers certaines focales jugeant hâtivement) comme un caprice d'enfant gâtée... Tu connais ma situation actuelle...C'était juste un petit coup de mou passager, mais vivant ce confinement dans des conditions extrêmement agréables, il ne s'agissait pas de me plaindre. Juste d'exprimer un ressenti.<br /> <br /> Cela dit, je ne trouve pas choquant que tu puisses apprécier la solitude. Moi-même j'ai toujours besoin de certains moments à moi, ne serait-ce que pour éprouver ce sentiment de liberté si cher et si menacé en ce moment...<br /> <br /> Je t'embrasse <br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
Répondre
H
C'est intéressant cette double voix intérieure, ce sentiment d'une part d'être dignifié par la solitude et d'autre part d'être intimé de ressentir un manque que vous n'éprouvez pas ; ça m'évoque un soi qui résiste à un eux. C'est peut-être une première étape vers l'assomption d'une forme encore discrète de rejet des gens et de la société : je sais bien que vous ne méprisez ouvertement personne, mais peu à peu, tout logiquement, vous en viendrez à penser que les autres modes de vie tournés vers l'excitation du stimulus interpersonnel, vers la normalité des échanges futiles, a quelque chose de médiocre et d'insupportable. Votre solitude est un signe de bonne santé, son seul inconvénient, je crois, c'est que vous en profitez trop peu pour écrire c'est-à-dire pour "faire votre œuvre".
Répondre
J
Bonjour Pierre,<br /> <br /> Pierre, depuis le temps que tu nous en parles, je envie de dire qu'on* s'en fiche un peu. Puisque tu es bien, c'est-ce qui compte :D<br /> <br /> Bises et douce solitude :)<br /> <br /> *"on" de modestie :D
Répondre