Le virtuel : entre réalité et imaginaire (3)
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Un Je virtuel
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Quand je parle de la façon dont je me perçois je me sens sincère. Quand j’écris sur ce blog je procède de même. C'est-à-dire que je crois vrai ce que j’énonce à l’instant où je le fais. Je considère que c’est la réalité de ce que je suis.
Or, comme je l’ai décortiqué dans mes textes précédents, cette réalité-là n’est que le reflet de ma pensée au moment où je transcris, sans distinction de ce qui serait réel, virtuel et imaginaire. En outre, il peut y avoir une intention, un message, un objectif dont je n’ai pas forcément conscience. D’ailleurs, selon que j’énonce à voix haute, que j’écrive ici ou en privé, ou encore pour moi seul, je ne dirais pas exactement la même chose : la "réalité" varie selon la représentation que j'ai de mon interlocuteur. Le décalage vient de la présence ou, au contraire, absence de l’autre et de mes projections sur lui, sur elle. Depuis longtemps j'ai remarqué que je me sentais plus libre de m’exprimer par écrit, donc « plus vrai », alors que cette authenticité n'est qu'artificielle. Simple distorsion due à la privation des interactions réelles et directes du sensoriel et de l'émotionnel. Or on sait l’influence considérable qu’elles peuvent avoir dans la communication. La présence réelle de l'autre influe donc grandement sur ce que je suis... réellement. Un peu comme quand on imagine à l'avance ce qu'on va être face à une situation et qu'on découvre après coup avoir été tout autre !
Pour moi c’est principalement sur ce point que l’expression intimiste-relationnelle sur internet se distingue du réel et « fausse » la réalité. Il y a un décalage. Une sorte de dédoublement de personnalité. Quand il s'agit d'identité, de conscience de soi, ça peut devenir troublant... Qui suis-je vraiment ?! Je peux me découvrir différent de ce que je croyais, tant dans un sens "positif" que "négatif". Outil de conscientisation de soi, donc, mais à utiliser avec précautions. Depuis que j’ai pris conscience des risques insidieux de ce mécanisme j'ai réduit la fréquence de mes interventions dans ce registre. J'évite les tentatives auto-analytiques...
Mais je m'interroge... Si une certaine confusion existe dans la communication distante, qu'en est-il de la communication directe ? Jusqu'à quel point le contact réel m'en met à l'abri ? Il y a toujours une part de réalité dans ce que je révèle de moi : je décris ce que je suis habituellement, du moins selon la conscience que j’en ai, validée par le regard des autres. Mais il y a aussi une part virtuelle, qui se manifeste sous une forme inconsciemment persuasive : je cherche à être perçu conformément à la représentation que j’ai de moi. Même si je sens confusément que je ne suis pas toujours, ou pas autant, ou pas encore conforme à l’image que j'ai envie de montrer. Il y a enfin une part imaginaire (fantasmée), auto-conditionnante, plus ou moins inconsciente : j’aimerais bien être comme ça (ou ne pas l’être), je fais ce que je peux pour y parvenir, et peut-être qu’en me le répétant et en l’affirmant devant autrui ça m’aidera à le devenir plus rapidement !
Dans ces trois composantes le « je suis » correspond en fait à un « je crois que je suis », qui peut être démarche authentique (recherche de soi), déni (refus d’acceptation de soi), ou conformisme (par rapport à des injonctions parentales enkystées en soi, par exemple). Il peut aussi y avoir du « j’ai envie qu’on croie que je suis… », voire « j’ai envie de croire que je suis… » (pas forcément dans un sens favorable...). Ce ne serait alors pas tromperie délibérée, mais plutôt manipulation inconsciente des autres et de soi. Un « je » virtuel, selon le sens que je donne à ce mot : un « je » potentiel, ou imaginaire. Ce que je serais... si j'osais l'être. Ce « moi virtuel » peut m’aider à construire mon identité, mais il peut aussi me maintenir dans l’illusion, me leurrer sur ce que je suis vraiment...
Selon que je sois en présence réelle de l’autre ou qu’il soit absent/distant, la part imaginaire aura plus ou moins de place pour s’étaler. Dans tous les cas l’autre reste un miroir qui me permet de me définir, mais plus il m’oppose sa réalité, son altérité et sa différence, et plus je prends la mesure de mes limites et contours. Sur internet, privé de la réelle présence de l’autre, je me retrouve surtout face à moi-même… et mon imaginaire, mes fantasmes, mes projections. Même si la pluralité des regards peut apporter un éclairage nouveau et me faire prendre conscience de ce que j'ignorais de moi... mais avec une empreinte bien moindre que ce que fait ressentir le réel.
Comme j’ai un peu baroudé entre illusions et réalité, j’ai conscience que ce que j’énonce au « je » n’est pas forcément vrai. Je fais donc preuve de prudence en présentant mes croyances puisque j’ignore jusqu'à quel point elles correspondent à une réalité. Avec des « je pense », « je crois », « je suppose », je tente d’être dans la réalité de l’incertitude. Je garde une part de doute. Mes affirmations de la réalité telle que je la perçois restent virtuelles, fondées sur ce que je crois être vrai. Dûment tempéré par ces précautions visant à laisser des alternatives et autres échappatoires, j’expose quelques unes de mes pensées devant un « auditoire ». Tentative de validation vaguement illusoire puisque la non-contradiction n’affirme rien, pas plus que la contradiction n’infirmerait mes dires. Même l’unanimité approuvant mes propos ne serait pas garante de réalité. C’est un peu le piège de l’expression de soi : ne jamais être certain que ça corresponde à une réalité qui, par ailleurs, n’existe que dans la marge étroite de l’ici et maintenant.
En fait quand je tente de me définir ce n’est pas à vous qui me lisez que j’écris, mais à moi-même en m’appuyant sur ce que j’imagine de vous. Et parce que, désireux de sincérité, je ne pourrais pas être dans une auto-tromperie durable, arrive tôt ou tard un moment où je découvre, le cas échéant, ma propre supercherie. Elle sera alors dépecée pour continuer à me rapprocher d’une vérité de ce que je suis. Travail de Sisyphe…
J’exprime cela en évoquant mon propre cas… mais je ne crois pas faire de projections outrancières en supposant que c’est pareil pour tous ceux qui tentent de se définir. Je crois qu’on ne parle pas de ce qui serait évident et ne poserait aucun problème. Tout ce qui est affirmé au nom du « je suis » rentre peu ou prou dans les trois composantes : réel, virtuel et imaginaire.
Je ne parlerai pas du « tu es », soumis exactement au même phénomène, parce que sa part imaginaire est immédiatement décelable.
En conclusion - et c'est là que je voulais en venir en publiant ma série de textes - je crois avoir souvent dépassé les limites de l'outil "blog" en ce qui concerne ses potentialités de conscientisation. La possibilité qu'ont les lecteurs d'interagir publiquement favorise une fantasmatique qui, pour être intéressante à observer, n'en constitue pas moins un sérieux parasitage, propre à fausser ce qui est recherché. Il m'est donc devenu nécessaire de renoncer à ce registre...
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Et pendant ce temps... le printemps est réellement là !