Les mains
C'est un exercice qui consiste à suivre de tout près une personne qui avance librement les yeux bandés. Sans prononcer un seul mot, seulement par le toucher lorsque nécessaire. Accompagner sans influencer, mais être là, garant de la sécurité. Un exercice de confiance pour l'un, de bienveillance pour l'autre. Métaphore sensorielle de ce que sont les places d'écoutant et d'écouté.
Partir dans une exploration aveugle, se laissant guider par l'intuition, les sons, les odeurs. Tous sens en éveil, poser un pas d'abord hésitant, puis plus assuré. Se savoir en confiance, contenu, protégé des dangers. Je sentais l'herbe sous mes pas, les feuilles mortes, je percevais la moindre déclivité, la souplesse ou la fermeté du sol.
Mon accompagnante était là, effleurant mon bras lorsque un obstacle de présentait, de façon à légèrement infléchir mon parcours. De temps en temps elle guidait mes mains vers un feuillage, un tronc à l'écorce rugueuse ou couvert de lierre. J'entendais les oiseaux, les avions, et au loin les voitures. J'allais vers le silence de la forêt.
Et puis j'ai entendu des pas à quelque distance. Une autre personne, dans le même exercice que moi. J'ai tendu les bras vers l'avant, montrant à mon accompagnatrice mon envie de rencontre. Pas à pas je me suis rapproché de cette autre en mouvement vers moi. Le froissement des feuilles sous les pieds devenait plus distinct. Bras en avant, en contact de mon accompagnante, j'ai avancé doucement jusqu'à toucher celle qui était venue aussi vers moi. Attirés l'un par l'autre, avides de contact, curieux. Nos mains se sont touchées, allant à la découverte de nos bras, de nos épaules. J'ai posé ma main sur ses cheveux, cherchant à identifier une de celles que je ne pouvais que connaître. Mes doigts étaient aveugles. Je ne me suis pas autorisé à caresser son visage, mais je sentais qu'elle se serait laissée faire. J'avais envie de cette découverte tactile. J'aurais peut-être suivi la courbe de ses lèvres...
Nous sommes restés quelques instants à nous toucher ainsi, finisant par nous tenir les mains, échangeant notre chaleur dans ce petit matin glacé. Nous nous sommes quittés en laissant nos doigts glisser lentement, dans une geste empreint de douceur. Et aussi de sensualité.
Qui était-elle ? Je ne l'ai su qu'à l'issue de l'exercice, quand la parole nous était de nouveau possible. Quant à elle, elle m'avait forcément reconnu : l'autre homme du groupe était celui qui l'accompagnait.
Un peu plus tard elle est venue vers moi. « Tu as de belles mains » m'a t-elle dit...
Et moi j'ai bien aimé ce moment.