Quand j'entends une personne dire "je dois..." ou "il faut que...", je pense immédiatement à son envie. Si je m'y sens autorisé il m'arrive alors de lui suggérer : et ton envie, où se situe t-elle là dedans ? De quoi as-tu envie, toi ?

En cela j'applique un réflexe tardivement développé : écouter mes envies. Éduqué bien davantage sous le signe des devoirs que celui des envies, j'ai été peu sensibilisé à cette écoute. Soumis aux "fais ceci, ne fais pas ça...", j'ai d'abord appris à marcher droit. Cela pouvait évidemment se justifier, en matière de principes éducatifs de socialisation, mais il manquait un contrepoids dans le domaine de la liberté personnelle. Vous savez, cette confiance que des parents peuvent donner à leurs enfants en étant attentifs à ce qui émane d'eux. À leur décharge je dirais que mes parents ont fait selon ce qui leur paraissait être "le mieux" et en fonction de leur propre capacité à entendre leurs envies [et je n'ai pas forcément fait mieux avec mes enfants...].

Lorsque je suis sorti de la tutelle parentale les "il faut que..." se sont transformés en "tu devrais..." et "si j'étais à ta place...". Moins directifs mais tout autant incitatifs, ils m'ont été répétés jusqu'à ce que je me rebelle ouvertement contre cette persistance. C'est arrivé fort tardivement, vers l'âge de 30 ans, lorsque j'ai créé mon entreprise dans un domaine où mes parents n'avaient aucune compétence. Il m'avait fallu tout ce temps pour en venir à ne plus supporter les "conseils" un peu trop généreusement distribués. Ces injonctions inhibantes, plus ou moins habilement introduites, perturbaient ma réflexion en obérant systématiquement un épanouissement qui cherchait à éclore. Auparavant j'avais bien manifesté de diverses façons mon insoumission mais, faute d'avoir perçu l'origine exacte de ma révolte, c'était resté sans effet. 

 

Aujourd'hui je sais que je fonctionne à l'envie. C'est mon énergie, mon carburant, ma lumière, ma récompense, mon sourire, mon éclat. Avec elle j'avance, je pétille, je me donne, je m'investis, je me consacre, je m'ouvre. Sans elle je renacle, je traîne, je laisse passer, je procrastine, je stationne, je m'étiole.

L'envie me guide, m'oriente vers un chemin dont j'ignore la finalité mais dont je capte les fragrances. Comme une piste à flairer.

Les effluves de l'envie sont changeantes. Un parfum peut me plaire longtemps puis perdre de son attrait en se combinant avec des senteurs jusque-là inconnues mais plus attirantes. Plus proches de ce qu'intuitivement je cherche. J'infléchirai alors mon parcours, hésitant, humant dans l'air ce mystère qui fait vibrer mes sens. Tout cela est subtil. Le chemin n'est pas tracé. Il ne suit pas les panneaux indiquant les chemins les plus parcourus. Mes envies ne correspondent pas nécessairement à celles des autres. 

Je suis donc seul à pouvoir trouver ma piste, tout en restant attentif à ce que les autres disent de leur parcours. Surtout s'il est singulier et visiblement épanouissant, donc potentiellement attirant. Comment en parlent-ils ? qu'en ont-il compris ? qu'en font-ils ? J'ai forcément à apprendre des autres et de leurs expériences. Je les vois, les écoute, les observe et cela touche en moi quelque chose de sensible. Je ressens de quelle façon leur lumière intérieure se diffuse et si je peux en faire bon usage. D'une certaine façon les autres me transfèrent une part de leur énergie.

Mais ceux que je côtoie peuvent aussi absorber la mienne, si je n'y prends garde. En sabrant mes initiatives, en me demandant d'agir contre mes convictions, en critiquant mes choix, en attendant de moi que je donne quelque chose que je n'ai pas ou qui ne me convient pas. La menace existe principalement dans deux champs distincts : professionnel et relationnel. Dans le domaine professionnel les éléments sur lesquels j'appuie mon argumentaire, basés sur mes solides convictions, les alliances que je tisse, auxquels s'ajoute ma persévérance, devraient permettre que se mette en place ce en quoi je crois. Ce n'est qu'une question de temps. Il n'en va pas de même dans le champ relationnel, dont le face à face est finalement bien moins maîtrisable...

 

C'est pour doser mon énergie vitale que je tiens à rester libre, donc seul. J'ai encore besoin de me ressourcer longuement dans la solitude. Je le ressens comme une impérieuse nécessité. Mon équilibre en dépend. Mais une telle exigence a une contrepartie : elle restreint l'accès à certains plaisirs dont j'ai connu l'infinie douceur. Je ne bénéficie plus du précaire privilège que constitue la sensation d'être "en couple", avec tout ce que cette notion ajoute à la perception des partages, quels qu'ils soient. Solitaire sur mon chemin je peux bien sûr partager dans de multiples dimensions, échanger librement au gré des rencontres, vivre mes envies... mais il me manque probablement quelque chose d'indéfinissable. Quelque chose qui aurait un lien avec l'idée de confiance. En moi et en l'autre. En voulant garantir ma liberté je garde le contrôle sur l'ajustement de la proximité mais, du même coup, me prive d'une forme d'abandon. Et peut-être de curiosité...

Mes envies sont mon énergie, mais quel parfum ont mes envies ?

 

 

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